jeudi 9 octobre 2014

Mommy de Xavier Dolan


Vous pensez bien qu'en plus du déferlement médiatique enthousiaste qu'il y a autour ce film, moi, admirateur de la première heure de Xavier Dolan, je me suis rué dans la première salle le projetant. Et j' y ai vu tout ce que le jeune canadien sait si bien faire, ce mélange sans pareil et sans honte de kitsch assumé, de couleurs criardes, de mélo, de ralentis, de musiques populaires ou pas. J'y ai retrouvé un cinéma vivant, énergique, créatif jusqu'à tutoyer les limites du bon goût. J'y ai une nouvelle fois admiré une direction d'actrices surtout et d'acteur bluffante, admirablement servis par des dialogues forts, truculents et ménageant cette indispensable zone de non-dit, permettant au film de jouer sur une petite complexité ambiguë de haute tenue.
Avec "Mommy" Xavier Dolan a concocté un film art et essai grand public. Un film qui peut plaire à tout le monde et donner l'impression que, pour une fois, on a vu un chef d'oeuvre mêlant histoire émouvante et forte et réalisation originale. On pourra ainsi s'insérer dans le courant hystérico/admiratif du moment en toute quiétude et bonne foi. Car, en effet, ce film est virtuose. Qui d'autre que Xavier Dolan peut réaliser une scène d'une justesse dramatique et d'une force émotionnelle imparable uniquement avec une chanson de Céline Dion ? Qui d'autre que lui peut nous imposer une image petit format presque carré (dit 1:1) qu'un des héros agrandira d'un geste, pour montrer le bonheur et la liberté, sans que cela fasse lourdingue ? Qui d'autre est capable de nous coller des ralentis à tout moment sans être lourd et ennuyeux, soulignant seulement par ce temps retenu les instants d'intense émotion ? Personne n'est capable de présenter un mélange aussi réussi de drame et de comédie avec juste ce qu'il faut de mauvais goût et de rentre-dedans.
Alors, si l'on n'est pas un familier du réalisateur, son cinquième long métrage sera sans doute un choc visuel et émotionnel, et c'est tant mieux  car mérité. C'est ici sûrement l'apogée de son style, ses effets ont été enfin digérés et lissés pour obtenir un résultat plus cohérents, plus populaire (dans un sens non péjoratif).
Personnellement, et c'est le seul bémol que je ferai, j'ai trouvé que cette virtuosité si totale m'avait tenu à l'écart de l'émotion pourtant désirée par le réalisateur. C'est un trop bon film, mais trop est parfois l'ennemi de bien. Tout le temps accaparé qui par une performance d'acteur, qui par une scène ou un plan magnifiques, l'histoire passe un peu à la trappe.
Mais, et c'est aussi l'autre réussite du film, il s'adresse aussi à la frange pointue du public, celle qui va y voir les courants sous-jacents qui charpentent le film. Le thème de la relation mère/fils, central chez Xavier Dolan, mais aussi son jeu sous toutes les formes, avec les normes ( du format du film aux agissements des personnages qui n'ont qu'une envie de sortir de ce cadre étriqué qu'est leur vie et le film lui-même). Il y a bien sûr, et cette fois-ci de façon bien moins frontale, une sexualité qui plane, cultivant le doute autour de l'inceste ou le triolisme.  On y trouvera aussi des références multiples, Cassavetes à Kubrick et des pieds de nez de gamin moqueur à la bien pensance.
Vous l'aurez compris, plusieurs degrés de lecture dans "Mommy", mais surtout un film fourmillant, intense, original, charmeur, dérangeant, un tourbillon de savoir-faire au service d'une histoire de mère courage et de son fils hyperactif qui saura séduire tout le monde, une plongée dans un univers aussi ébouriffant qu'intelligent. Qu'on se le dise, ce prix du jury à Cannes est loin d'être galvaudé.


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