dimanche 30 mars 2014

Regarde les lumières mon amour d'Annie Ernaux



Quand un grand écrivain regarde la vie dans un hypermarché Auchan, cela donne un livre aussi beau que son titre.
Vous me direz que c'est étrange d'employer le mot "beau" pour évoquer cet ouvrage paru dans une collection à caractère sociologique. C'est oublier que le regard d'Annie Ernaux est on ne peut plus subtil, humain et qu'il est doublé d'une écriture limpide, directe et belle. Au final cela donne un livre d'une parfaite concision (72 pages),  qui vous brosse un portrait lumineux et sans concession de ce temple de la consommation.
En cliente ordinaire, régulière et fidèle, Annie Ernaux  observe ce lieu de promiscuité subi, le décrypte, le dissèque avec toute sa subjectivité, ne faisant donc pas un travail de sociologue. Elle s'implique personnellement dans ce lieu, s'y inscrit pleinement en tant que femme d'abord, subissant les assauts sexistes de ce lieu où l'acte d'achat est pensé plus au féminin. Ecoeurée par l'extrême séparation des genres des rayons des jouets de Noël qui façonne les inconscients tout autant que par la répartition des rayons en zone de marquage des richesses, elle dissèque un par un tous les rouages de ces usines à consommer. Entre la décoration clinquante et joyeuse ou les panneaux fluorescents qui donnent l'impression que le magasin est généreux en bradant ses produits, l'écrivain note, analyse, pour mieux comprendre tous les enjeux économiques mais aussi humains qui règnent en ces lieux.
Avec un écriture simple, mais où chaque mot fait mouche, Annie Ernaux exprime librement et magnifiquement toute une myriade de sensations que tout un chacun a éprouvé lorsqu'il s'est trouvé à pousser un caddie parmi ces rayons regorgeant de produits ( " 50 000 références alors que je dois en utiliser 100" dit-elle). Lieu de rencontre, de distraction de populations très diverses, véritable reflet de la réalité sociale française, l'hypermarché est également un lieu où notre intimité est dévoilée, le contenu de nos chariots déposé sur les tapis de caisse devant le regard des autres, est un révélateur de nos goûts et de notre position sociale. C'est en pointant scrupuleusement tous ces petits détails de notre quotidien, sans en oublier les replacer dans une sphère économique globale, qu'Annie Ernaux fait encore mouche, en touchant une nouvelle fois le lecteur en plein coeur, mettant des mots forts et simples sur ce quotidien qu'on occulte le plus souvent. Du grand art et un livre à lire toute affaire cessante !

vendredi 28 mars 2014

Expo 58 de Jonathan Coe


Pour un gars de ma génération, l'exposition universelle de 1958 à Bruxelles fait un peu figure de madeleine de Proust. Bien qu'ayant vu le jour à la même époque, l'onde prophétique cet événement, basé sur cette croyance positive de lendemains qui chantent grâce aux progrès scientifiques et technologiques, a bercé ma jeunesse. Je me souviens de mes lectures, béat, de ces articles abondamment illustrés d'un an 2000 où les voitures voleraient et les hommes vivraient sereins et heureux grâce aux bienfaits issus de chercheurs généreux. Il y avait souvent, dans un coin, une représentation de l'atomium, symbole de cette modernité en marche et que reprenaient à l'envi les magazines belges Spirou et Tintin. Quand, dans les années 90, lors d'un séjour à Bruxelles, j'ai emprunté ces escalators à bout de souffle et ai eu la joie d'arpenter l'intérieur délabré et vieillot de ces boules d'aluminium, j'ai retrouvé l'espace d'une matinée la magie d'une enfance à rêver à un monde futuriste. Dans mon imaginaire, l'atomium est plus important que la tour Eiffel.
Autant vous dire, que le nouveau roman de Jonathan Coe, planté dans le cadre de cette effervescence scientifique, ne pouvait que m'attirer. J'ai retrouvé dans les premiers chapitres cette envie de progrès qu'un monde sortant du plus terrible des conflits voulait à tout prix promouvoir. L'histoire proposée, le séjour en Belgique d'un trentenaire britannique sage et dévoué, nous fait bien ressentir la dynamique de cette époque, cette foi en la réconciliation des peuples grâce aux sciences mais aussi à la promiscuité qu'offre une exposition universelle. En expatriant ce petit mari modèle dans ce caravansérail que fut cet événement, Joanathan Coe s'offre un décor romanesque formidable. Il développe son intrigue autour des questionnements de son héros quant à sa vie personnelle confrontée à beaucoup de tentations, avec une incursion très "guerre froide" où l'espionnage est un jeu quotidien, surtout dans un espace où toutes les nations importantes jouent des pectoraux pour montrer au monde leur puissance et leur ingéniosité.
Si la toile de fond m'a paru réussie ( effet de la nostalgie ?), le récit lui ne brille pas par son originalité. Les péripéties sont assez téléphonées, et leur légèreté n'arrive pas à masquer leur banalité. Toutefois, en bon faiseur, l'auteur a fini par emporter le morceau dans une deuxième partie au romanesque achevé mais où la cocasserie du départ disparaît pour une vraie mélancolie. Le roman en prenant ce virage devient une réflexion sur l'échec, les opportunités que l'on a pas su saisir, la force d'une éducation corsetée face à la vraie vie qui vous nargue et parvient du coup à émouvoir.
Ce voyage dans un temps pas si lointain m'a fait replongé agréablement dans cette époque enchantée où tout était possible mais où, la science et les hommes n'ont hélas pas su attraper la perche tendue. Le monde est ainsi fait. Il est possible de rêver un peu mais la réalité se charge de nous remettre sur les rails bien huilés d'un chemin que l'on ne choisit pas complètement. "Expo 58" est le reflet de cette réalité là. Dommage peut être que l'auteur ait eu du mal à choisir entre comédie d'espionnage et récit profondément mélancolique.

jeudi 27 mars 2014

Aimer, boire et chanter d'Alain Resnais



Le dernier film d'Alain Resnais  est encore du théâtre filmé et, pour la troisième fois, une adaptation choisie dans l'oeuvre du dramaturge anglais Alan Ayckbourn. Le challenge est difficile. La pièce n'est pas fameuse et le réalisateur a déjà pas mal exploré et expérimenté ce genre de captation.
On retrouve les éléments qui figuraient déjà dans "Smocking/ No smocking" : la campagne anglaise à différentes saisons, des décors un soupçon trop clinquants et volontairement minimalistes, et des illustrations fournies par une pointure chic du monde de la bande-dessinée (Floc'h est remplacé aujourd'hui par Blutch, très en vogue ces temps-ci ). La nouveauté cette fois réside dans l'introduction de quelques plans réels du comté de York où se déroule l'action, mais surtout de ces grandes bâches peintes qui emplissent le fond de l'écran (de la scène ?) et au travers desquelles les acteurs se glissent , apparaissant et disparaissant avec fluidité. Et pour compléter ce côté inventif, Alain Resnais ne résiste pas au plaisir d'utiliser de gros plans de ses acteurs filmés sur un quadrillage blanc et noir et de nous offrir deux courtes séquences avec une taupe en peluche sortant de terre au début du film pour y retourner à la fin. On peut y voir une propre représentation du cinéaste qui a su observer l'humanité de moultes façons depuis plus de 60 ans et nous quitte en s'enterrant tout en gardant un oeil malicieux.
L'originalité d'"Aimer, boire et chanter" est perceptible uniquement dans le dispositif installé, le film, reposant sur un récit assez conventionnel, ne bouscule guère. Les acteurs posés dans ce décorum très factice, éclairés très artificiellement sont au diapason : ils surjouent un peu.
On est partagé entre intérêt vague et des moments d'agacement. L'oeil, alors vagabonde un peu, trouve ici ou là quelques éléments qui peuvent apparaître comme symboliques. Ainsi, une des rares scènes d'intérieur, au décor très nu, mettant en scène Dussolier (au rôle anecdotique) et Sandrine Kiberlain, fait dire à un personnage revenant d'une représentation théâtrale, qu'il s'est ennuyé, que la prochaine fois, il ira au cinéma ! (mais peut être pas voir du théâtre filmé par Resnais). Et bien sûr, on ne peut que s'interroger, et être un rien ému, lors du dernier plan du film, la caméra surplombant une tombe, les acteurs jetant une dernière fleur... Impression de testament cinématographique comme si le réalisateur pressentait sa fin proche.
Plutôt moins ennuyeux que "Les herbes folles " ou "Vous n'avez encore rien vu" ses deux précédents films, sans pour autant retrouver la verve d'oeuvres plus anciennes que nous avons tant aimées, "Aimer, boire et chanter" se laisse regarder sans susciter un grand émoi. La seule émotion qui ce dégage de cet exercice de style, est de ressentir cet esprit frondeur d'adolescent qu'Alain Resnais a eu jusqu'au bout, cherchant toujours à créer et à présenter au public des films originaux.
En adaptant une pièce vieillotte pas des plus audacieuses, ce ne sont pas quelques bâches peintes, même misent en scène avec talent, qui vont porter cette comédie un peu poussive vers les sommets cinématographiques d'antan atteints par ce grand cinéaste. A voir pour rendre hommage à ce grand homme...


mardi 25 mars 2014

Tu te crois le lion ? d'Urial et Laetitia Le Saux


Un lion, franchement despotique, règne sur un peuple d'animaux soumis. Non seulement il se fait servir sans vergogne, en aboyant ses ordres et en se moquant de cette valetaille servile. Mais un beau jour, une pigeonne (pas si pigeonne que ça) file se couler des jours plus heureux en bord de mer. Elle sera suivie par d'autres animaux qui déserteront la proximité de ce trop puissant qui finira par se retrouver tout seul.
Pour de jeunes enfants, le conte est symboliquement simple : à vouloir jouer les chefs, on n'a plus de copains. Tous les maltraités de la cour de récréation pourront découvrir que la rébellion existe, qu'individuellement, avec un peu de cran, on peut s'éloigner de cette oppression en refusant tout contact avec le tyran. Le propos est donc intéressant, accompagnant au mieux le discours des adultes qui veillent sur les collectivités de jeunes enfants. Superbement illustré par Laetitia Le Saux (comme d'hab'), cet album me fait pourtant émettre quelques bémols.
Si l'on observe bien la situation et surtout la représentation des animaux rebelles, le jeune enfant s'aperçoit que l'on peut donc se libérer du joug d'un roi trop puissant et de passer d'une vie de labeur à une vie de oisif, genre retraités sur la Méditerranée. On voit ainsi les animaux se la couler vraiment douce au bord de la mer, allongés sur une serviette, les doigts en éventail, passant sans difficultés du tout travail à une totale inactivité, une vie de farniente où tout s'obtient (repas, jeux et belle vie) sans l'ombre d'un effort... Pourquoi pas ? Pas sûr que tous les fuyards d'un régime totalitaire aient une aussi belle vie... Je sais, je pinaille, les enfants n'auront pas cette vision, seulement l'envie de cesser d'être opprimés..
Deuxième et dernière petite remarque, qui concerne plutôt les éditions Didier Jeunesse. La qualité de leurs parutions n'est plus à démontrer. Cependant, je note depuis quelques temps, sur certains grands albums, une petite tendance à viser le rire un peu facile, voire gras dans les textes au travers d'expressions, de remarques ou (ici) des noms des personnages (Petit-tas-de-crottes, le mouton,, sac-de-bave, le chien ou Pue-du-bec l'autruche, ...). Bien sûr selon fonctionne forcément auprès des enfants, voire peut s'inscrire dans le conte comme un mépris supplémentaire du lion, mais je ne suis pas sûr que cela soit bien utile pour capter l'attention. Quand l'histoire est forte, bien écrite, cette petite surenchère rigolarde, pas vraiment indispensable et quelquefois un peu en dehors de la tonalité générale du texte, passe pour moi comme une petite insulte à leur intelligence. Ce moyen relevant plus d'une esthétique populiste est-il vraiment nécessaire ? Sans doute, si j'en juge les rires qui ont accompagné l'énoncé de ces noms fleuris lors de la lecture de cet album à un groupe important d'enfants de 5/6 ans  mais peut être au détriment du fond de l'histoire, ces surnoms rigolos ayant été les seuls éléments retenus par une bonne partie de l'auditoire. ("Dis, tu me racontes l'histoire où y'a Pue-du-bec ? ".
Quoiqu'il en soit, malgré ces petites remarques qui ne viennent nullement d'un lecteur du Figaro, mais de quelqu'un qui avait mis entre les mains des enfants "Tous à poil" dès sa sortie en 2011,  "Tu te crois le lion ? " est un bon album qui plaira à tous les enfants à partir de 4/5 ans. La fable est bien vue, les illustrations pleines de vie et de couleurs et le texte.... vivant (et très agréable à lire à haute voix).

jeudi 20 mars 2014

Her de Spike Jonze


L'affiche n'est pas trompeuse, il y a autant d'action dans "Her" que la photo le laisse supposer. Pourtant le film est loin d'être exempt de qualités, mais un scénario essentiellement basé sur une histoire d'amour bien terne, noie un propos et une toile de fond intéressants.
Théodore, est fraîchement divorcé. Son boulot d'écrivain public sur le net est loin de combler le néant de sa vie affective. En acquérant un nouveau système d'exploitation, doté d'une intelligence artificielle évolutive, il fait la connaissance de Samantha, correspondante virtuelle à la voix de Scarlett Johansson. Ils vont converser tous les jours, devenant de plus en plus complices et finir par faire l'amour virtuellement. La suite est plus conventionnelle, l'amour réel et son ersatz informatique prennent souvent les mêmes chemins balisés : présentation aux amis, jalousie, peur de se perdre, ....
Dans un monde aux douces tonalités pastels, les humains déambulent seuls, une oreillette à l'oreille, sans aucun regard pour leur voisin. Ils conversent avec des voix artificielles qui comblent une solitude endémique. Seul leur habillement souligne un peu le côté enfermement à l'instar de ces pantalons, d'homme en grosse laine, à la taille très haute et à la braguette surdimensionnée, car le monde dans lequel ils vivent est beau, propre, moderne et agréablement coloré. La toile de fond dans laquelle évoluent les personnages est convaincante par sa simplicité et en parfaite adéquation avec la méga solitude contemporaine décrite. Là où le film pêche un peu, c'est dans le traitement de  l'histoire d'amour entre Samantha et Théodore. Si la voix virtuelle, élément indispensable pour rendre l'histoire crédible, est évidemment d'une grande sensualité, puisque achetée par son utilisateur (prostitution ? ), la mise en image de ces amours informatiques n'a pas réussi pas à m'emballer. Joaquim Phoenix qui interprète sobrement Théodore, est filmé en plan serré, allongé, debout, de trois quart, souriant. Cela doit être un bonheur pour ses nombreux fans de l'admirer pendant plus de deux heures mais finit tout même par lasser. A l'écran, l'histoire, construite selon un schéma vieux comme le monde, avance uniquement grâce aux dialogues et l'originale virtualité de l'idylle, ne l'empêche nullement de sombrer dans le banal. Et si je prends la scène de la première relation sexuelle (?!), ressemblant au cinéma de Marguerite Duras lorsqu'elle proposait des films avec seulement un écran noir et une bande son, son manque d'audace confine à un aveu d'impuissance à pouvoir illustrer ces coïts à distance. Pour moi, c'est à ce moment là que le film, jusqu'à présent de bonne tenue, bascule, s'enfonce petit à petit dans la banalité. Alors que Samantha, dans son système d'exploitation continue d'évoluer d'une manière assez effrayante, le film laisse de côté cet élément vertigineux pour faire son romantique à trois sous. Je n'ai pu alors m'empêcher de penser à "Simone" d'Andrew Nicol, qui sur un thème voisin avait su aller crescendo, porté par un Al Pacino autrement plus effervescent!
C'est en cochant les cases des éléments inéluctables dans toute histoire d'amour peu inspirée, que j'ai terminé la vision de "Her" assez déçu. Les jolies phrases pleines de promesses, de tendresse et de séduction sussurées par Samantha/Johansson n'ont pu me faire oublier le caractère rebattu de cette intrigue par ailleurs assez inspirée à l'arrière-plan.




mercredi 19 mars 2014

Le rayon fille de Denis Lachaud


Habitué à fréquenter une librairie spécialisée jeunesse dont le travail de défrichage et de recherche de qualité lui permet d'offrir des rayonnages prouvant que la bonne littérature ne connaît aucune frontière y compris sexuelle, j'ai eu un coup de chaud l'autre jour en passant dans le rayon jeunesse d'une librairie ayant pignon sur rue dans ma ville. Toute une table couverte d'une littérature colorée allant du rose fushia au mauve/ rose, gamme chromatique variée rehaussée par endroits avec une légère touche de vert tendre pour les titres arborant en couverture quelques poneys aux crinières brushés façon L'oréal, prouvait que j'étais dans le rayon fille. Sur cette débauche de couleurs tendres accompagnées bien souvent de paillettes,  on lit des titres accrocheurs du genre :"Premier baiser" ou "Un coeur à prendre"  (!!! oui, proposés à partir de 8 ans) et on s'arrache la cornée avec des couvertures aux chatons et aux chiots implorants que même le défunt calendrier des postes aurait eu honte de proposer. Je ne saurai exprimer mon état entre dégoût et colère ! C'est donc ces daubes stéréotypées à l'extrême que les libraires ont le culot de mettre en avant ? Des récits d'amourettes, de chanteuses ou de victimes de la mode pour mieux ancrer nos futures femmes dans un rôle de potiches idiotes ? Et pourquoi sexuer cette littérature à l'extrême ? Parce que la petite fille est censée lire plus que son copain garçon ? 
On pourrait être en droit d'attendre de la part des libraires, gérant ce que l'on peut espérer être un des derniers endroits de culture, un peu plus de discernements, d'élagage plutôt que cette présentation mercantile et avilissante. 
Du coup, je suis reparti chez mon libraire spécialisé jeunesse où j'ai voulu tester un titre ciblé fille d'un éditeur de bon aloi. Le hasard m'a fait tomber sur cette nouveauté de la collection "Premier roman" de Denis Lachaud chez Actes Sud. Regardez la couverture, tout y est bien ciblé : les couleurs pastels, une fillette déjà fashion-victime, une boule disco,  un titre sans équivoque et même le bandeau japonais qui peut attirer les amatrices de mangas ou autres japoniaiseries sucrées. Ah ! Ah! me disais-je, je sens que je vais me régaler ! Ce Denis Lachaud va passer un mauvais quart d'heure, même si publié par un grand éditeur !
Et... heureuse surprise, ce petit roman n'est pas du tout à l'image de sa couverture, c'est une vraie friandise. Il commence finement, sûrement pour mieux attraper la lectrice venant de la série "Violetta" , par une analyse des comportements d'une maman lors de séances de shopping avec sa fille et de l'importance de son humeur quant à l'achat d'une mini jupe. C'est suivi par quelques considérations humoristiques sur les chanteuses et leurs clips dansés. Une fois joliment évacués ces poncifs de la littérature 'fille" (que je n'aime pas cette classification !), l'histoire peut vraiment débuter. Tina, par amour d'un garçon (là aussi un classique de ces romans roses), va s'inscrire à un cours de karaté. Elle va y prendre goût, obtenir au fil des ans les diverses ceintures colorées, alors que son amour lui, a filé jouer les gymnastes. Très vite le roman, sort sérieusement des sentiers rebattus du genre, pour mieux s'inscrire dans un formidable portrait en profondeur d'une petite fille qui observe la vie et se pose des questions, des plus saugrenues et enfantines (Mes parents sont-ils agents secrets ? ) aux plus profondes ( Qu'elle est la face cachée de chacun ? ).
Un peu délaissée par ses parents accaparés par leurs boulots respectifs, elle trouvera d'autres adultes référents qui sauront l'aiguiller et l'amener progressivement à décrypter le monde qui l'entoure. Ses réflexions, les informations qu'elle obtiendra, la feront grandir de la meilleure des façons, se positionnant en tant qu'enfant réfléchie et solide, loin des stéréotypes d'une société prompte à faire entrer tout le monde dans un même moule. Ou comment grâce au karaté et à la psychanalyse, on devient une vraie et belle personne. Oui, vous avez bien lu, la psychanalyse ! C'est l'une des prouesses de ce petit roman, expliquer les théories de Freud aux enfants à partir de 9 ans, sans les raser et en les rendant passionnantes ! Vous voyez, nous sommes aux antipodes de ce que l'on pouvait penser en voyant cette créature branchée éviter notre regard avec ses grandes lunettes de soleil. 
Si vous avez des enfants, filles ou garçons, "Le rayon fille" ne cherchera qu'à les distraire de la plus belle des façons : en s'adressant à leur cerveau ! Avec humour, un zeste de sérieux, et beaucoup de tendresse, Denis Lachaud enfonce le clou en envoyant voler les stéréotypes et en nous offrant un personnage féminin en tout point exemplaire, avec ses doutes, ses faiblesses, ses forces. Ce n'est pas une sorcière, ce n'est pas une fana de cheval ni une apprentie chanteuse, juste une petite fille d'aujourd'hui, une vraie ! 
  C'est une très bonne nouvelle de savoir qu'il existe tout un pan de la littérature jeunesse, n'en déplaise à certains (suivez mon regard), qui parie sur l'intelligence. Encore faudrait-il qu'elle soit un peu plus mise en avant PARTOUT où elle devrait l'être... 

lundi 17 mars 2014

La grosse bête de Pénélope Jossen


Les albums les plus simples sont parfois les meilleurs. Cette "grosse bête" en est le parfait exemple. Prenez un animal disparu que tous les enfants adorent : le dinosaure. Il est grand, il est méchant, il fait peur. Il terrorise toutes les petites bêtes qui tremblent à son approche. Il joue de sa force, s'amuse aux dépends des plus petits et à la fin ne veut en faire qu'une bouchée. Lorsque soudain, survient une boule de feu, une météorite, vous savez bien, celle qui signa la fin de ces terribles grands animaux...
Le dessin, au trait simple et précis,  est en noir et blanc (sauf la météorite qui enflamme les pages de ses couleurs vraiment chaudes). Le texte est au diapason, percutant dans son évidence. La chute parfaite de philosophie et ouvrant un espace de réflexion infini. 
Cet album petit format attirera les enfants pour son dinosaure. Les parents y trouveront un complice parfait pour faire passer le message imparable qu'être grand, fort et méchant, peut se révéler être un handicap et qu'un être de petite taille a toutes les chances de résister et de survivre dans un monde aux apparences hostiles. 
Très joli réussite, "La grosse bête" enchantera les petits tendres mais, je l'espère aussi, remettra à leur place tous les gros durs des cours de récré à partir de 3 ans. 

dimanche 16 mars 2014

Lune l'envers de Blutch



C'est album est à l'image de sa couverture : surréaliste, touffu et auteuriste. "Lune l'envers " est tout sauf classique.
C'est  l'histoire d'un auteur de série BD à succès en panne d'inspiration à force d'avoir été pressé comme un citron par un éditeur visant uniquement le profit. Il est vieillissant, déprimé, partagé entre plusieurs femmes qui l'épuisent. Une de ses anciennes maîtresse est d'ailleurs recrutée pour poursuivre la série à sa place. Elle possède un atout indéniable, elle a traversé le temps sans vieillir. Mais la jeune (?) femme se révolte, elle ne veut pas le job sous prétexte que travailler sans voir ce que font ses mains ne l'intéresse pas. Il faut préciser que les auteurs de BD travaillent devant une énorme machine aux formes bizarres dans laquelle on  glisse ses mains dans un trou et qui dessinent sans que vous en ayez conscience. 
Tout est particulier dans ce récit, au bord du fantastique, un peu science fiction, avec des soubresauts classiques et des plongées dans l'étrange. C'est totalement singulier, un peu déstabilisant, par moments loufoques (les personnes se déplacent dans des troncs d'arbres ou en toutou, sorte de tronc mais à poil long...). Le sexe est toujours présent, jamais vraiment explicite, comme retenu mais ravageant intérieurement les personnages de désirs. J'ai suivi l'histoire avec étonnement, pas franchement passionné mais toujours étonné par les originalités du scénario. On sent que tout cela a un signifiant qui ne s'est pas livré à ma première lecture. Le problème est que je n'aurai pas envie de m'y replonger dedans pour en extraire la substantifique moëlle. 
Le dessin est au diapason de ce dispositif, nerveux et noir, bien que rehaussé par une palette de couleurs variées un peu passées. Certaines cases sont magnifiques mais j'avoue que le graphisme de Blutch, un peu rétro, ne me fascine aucunement.
Cet univers fantasmagorique autour de la bande dessinée m'a semblé être l'expression d'un mal être permanent, où le doute et l'angoisse de la page blanche, assortis d'une critique un peu lourde du milieu de l'édition, sont accompagnés d'un propos un peu obscur, rendant l'ensemble attachant par son originalité mais un peu poseur tout du même. On peut être réfractaire à cet exercice de style où chaque case est potentiellement porteuse de plusieurs sens. C'est un peu fatiguant à la longue parce qu'un peu hermétique tout de même et réservé à une élite (qui se gargarise déjà dans la presse qui distribue les bons points du bon goût). 
A réserver aux fans de science fiction (genre auquel je suis vraiment hermétique) et à tous ceux qui adorent se torturer l'esprit dans la recherche du sens caché des choses dans des oeuvres conçues pour eux. 



vendredi 14 mars 2014

Décapage, la revue

Je connaissais un peu la revue "Décapage" pour en avoir acheté quelques numéros selon les auteurs mis en avant. Depuis quelques numéros, le format a changé, la couleur est arrivée dans les pages et la revue prend une allure mook plus tendance. J'avoue que ces travaux de rénovation m'ont particulièrement séduit et donne à cette revue littéraire branchée et décalée, une allure bien plus sympathique.
Le numéro 49 vient de paraître et l'on y trouve à l'intérieur un esprit caustique, frondeur et intelligent au service de la littérature. Le sommaire est copieux, varié, pour tous les goûts. Comme dans toute revue, on grappille les articles au gré de son humeur, de ses envies, mais la mise en page soignée, invite à la lecture, à la découverte. J'ai pu donc sauter d'un hommage délicat et émouvant à Christian Gailly dont les textes de Jean Echenoz, de Laurent Mauvinier (entre autres) donnent vraiment envie de découvrir plus profondément cet auteur en fonçant chez son libraire rafler tous les titres disponibles, à un extrait du journal littéraire de Bernard Quiriny.
Un peu plus loin, on trouve un dossier assez rigolo : Cette oeuvre ou cet artiste que j'ai honte d'aimer. La rédaction est allée demander à toute une cohorte d'écrivains (D'Eric Neuhoff à Pierre Michon) d'écrire un petit texte sur ce thème. Jeu ambiguë car les personnalités qui y répondent, jouent sur leur image d'intellos. Il s'agit de faire bonne figure pour ne pas avoir plus tard à traîner quelques casseroles du genre : Alors Michel Onfray toujours fan de Mylène Farmer ? ( question inlassablement posée par des journalistes un rien perfides). Donc, comme on aurait pu s'y attendre, personne n'avoue faire tourner les serviettes lors d'un dîner en ville organisé à la maison ni ne posséder toutes les oeuvres de Marc Levy sous son lit. Chacun des écrivains s'en sort avec les honneurs. La palme du bon goût et de la maîtrise totale de son image revient à Karine Tuil, qui après avoir vanter les mérites de la culture des oeuvres mineures (populaire n'a pas du pouvoir sortir de sa plume) et tout en cherchant vraisemblablement son rouge à lèvres dans son sac Chanel, lâche qu'elle a honte d'aimer Céline; du grand art mais assorti d'une jolie démonstration littéraire.
Après un long autoportrait, très richement illustré d'Arnaud Cathrine, viennent les inévitables nouvelles qui sont une obligation dans une revue littéraire digne de ce nom. Au nombre de cinq, toutes inédites, toutes dignes d'intérêt (bravo la rédaction, bien choisies!), j'avoue que personnellement j'ai beaucoup apprécié celle d'Alice Zeniter sur un drôle de repas à trois à Dublin ainsi que celle de Vincent Wackenheim, proche de l'absurde mais totalement maîtrisée où la viande et la solitude y font un drôle de couple.
Pour conclure, et cela vous donnera sûrement une indication du plaisir que j'ai pris à lire "Décapage", dès que j'ai eu refermé la revue, j'ai couru chez mon libraire acheter les deux précédents numéros (et ouf il les avait en stock !). Je suis donc devenu addict à Décapage. Plus drôle que "La revue littéraire", moins  commercial que "Lire", moins sérieux que "L'infini", "Décapage" devient ma friandise littéraire.


Livre lu dans le cadre de masse critique du site BABELIO


jeudi 13 mars 2014

La vie en mieux d'Anna Gavalda


Quand j'aime le livre d'un auteur, j'achète toujours le suivant. Quand on aime, multiplier les rencontres avec un auteur, c'est plaisant. J'avais beaucoup apprécié " Billie " paru il y a quelques mois, retrouvant une Anna Gavalda pétillante et son univers empreint d'une profonde humanité.
"La vie en mieux" qu'elle nous propose aujourd'hui, devait initialement, si je me rappelle bien les nombreuses interviews données en octobre dernier, paraître dans le même volume que "Billie". Au final, les deux longues nouvelles qui le composent  paraissent indépendamment (coup marketing ?). Ce sont deux portraits de jeunes gens d'aujourd'hui, parisiens, Mathilde et Yann. Si leurs deux histoires sont totalement différentes, ils ont en commun le mal de vivre de beaucoup de personnages de l'auteure, cette sensation diffuse qu'ils vivent mal, loin de leurs idéaux de liberté, des relations vraies et authentiques, écrasés par  les codes sclérosants d'une société de vitrine et de paraître. On peut dire que c'est son fond de commerce, sa marque de fabrique. Fine observatrice du monde d'aujourd'hui, Anna Gavalda sait glisser à la perfection au creux de  ses textes ces petits détails du quotidien, agaçants ou charmants qui donne à ses écrits une touche sensible et amusante. C'était le cas dans "Billie" et ça l'est aussi dans celui-ci, sauf que c'est quand même un peu raté !
Si j'avais été attentif, plutôt que d'admirer la très jolie couverture, j'aurai pu m'interroger sur le titre : la vie en mieux ..., tout un programme déjà développé maintes fois et qui, maintenant que j'ai lu l'ouvrage, aurait dû me faire penser à "Plus belle la vie". Oui, les intrigues, un peu tirées par les cheveux, lorgnent beaucoup du côté du feuilleton aux rebondissements improbables de France 3. Des bons sentiments, pourquoi pas, mais pas au prix de la crédibilité. Ainsi Mathilde, jolie fashion-victime, tombe amoureuse d'un gros cuisinier quasi muet auquel il manque une phalange et qui se promène avec une mallette remplie de couteaux. Yann, lui, décide de changer de vie grâce à un voisin fort en gueule et en complicité, pour lequel il a déménagé un buffet en formica bleu. Il lui suffira d'une soirée dans sa famille pour tourner la page...
Des points de départ originaux, c'est bien vu pour attraper le lecteur sauf qu'ici cela ne fonctionne pas vraiment.On la voit venir Anna Gavalda avec ses gros sabots de fraternité. On sait bien où elle va, on n'est pas surpris, le parcours est balisé. Et comme elle sent bien que tout cela n'est pas original, elle essaie d'insérer des morceaux de bravoure, histoire de donner du relief à  son récit : une lettre d'amour envoyé par un ancien amant de Pauline devenu auteur à succès ou des déclamations sous forme d'énumérations. C'est, suivant le cas, ou inutile, ou lourdingue. On sent la fabrication, la légèreté s'envole. Je pourrais aussi faire la fine bouche devant le style employé, un mélange de parler branché /jeune et de subjonctif imparfait, mais là je dois avouer que c'est souvent assez réussi, surtout lors des évocations du quotidien de ces jeunes gens où son sens du détail fait mouche.
In fine, même si la plume d'Anna Gavalda est souvent alerte et gracieuse, cette fois-ci la sauce ne prend pas. Trop de bons sentiments nuisent aux intrigues, le message est brouillé, le lecteur perdu en route et les hirondelles de la couverture sensées annoncer, en plus d'un joli printemps, un roman gracieux et léger, ne sont en fait qu'annonciatrices de deux nouvelles pas très réussies.


mercredi 12 mars 2014

Monuments Men de Georges Clooney


Georges Clooney ne boit pas que du café, il essaie de bonifier son image d'intellectuel du cinéma. Après le producteur engagé, le militant gauchiste (pour les USA), l'humanitaire,  voici l'historien ! Ok, il avait déjà présenté une étude sur le maccarthysme mais, cette fois-ci, il s'attaque à du lourd : un épisode peu connu de la deuxième guerre mondiale, la constitution d'une section spécialisée dans la récupération d'oeuvres d'art volées par les nazis. Et comme on ne doit pas faire les choses à moitié, pour bien situer Georges à sa place exacte de réalisateur qui en a (dans le crâne), on double le récit historique d'une question vaguement philosophique :" Doit-on risquer sa vie pour sauver une oeuvre d'art ? ". Et à l'arrivée vous obtenez un grand film , " Ala recherche de la Madone perdue". (non, pas Madonna, elle a refusé, elle n'a rien compris au scénario).
Georges veut bien faire l'historien, mais hélas, il ne veut pas laisser tomber son humour bon enfant (qui lui vaut tant de succès), ni ses copains acteurs, ni les poncifs du film d'action US. Alors son film hésite à trouver son style  pour n'être qu'une suite de sketchs : un drôle, un tragique avec vers la fin une variante avec un sketch à suspens. L'action avance par accoups, certaines scènes pouvant fonctionner, d'autres sombrant dans la facilité. Les clichés débarquent par garnisons entières. Dans la section, les seuls à mourir seront évidemment l'anglais et le français, leur nationalité ne leur donnant pas la bravoure nécessaire. Du coup ce pauvre Jean Dujardin disparaît assez vite après avoir placé deux ou trois répliques du genre ; "Oui, chef !", "Planque-toi, il tire" ou, plus long,  " Je suis content d'être là, parmi vous !". On admirera au passage, que les soldats américains étaient de bons pères ou de bons maris. Ainsi, James (Matt Damon), résistera aux plaisirs d'une nuit d'amour avec une française forcément délurée (mais qui l'attire énormément) sous le seul prétexte qu'il est marié. Quel homme, il résiste à Cate Blanchett ! Je vous fais grâce des mines patibulaires des nazis, et même des russes (les vieux réflexes ressortent). On patauge dans les poncifs voire dans l'invraisemblance car les membres de cette section ne sont pas des soldats mais plutôt des universitaires pas du tout entraînés au combat (voire bedonnant ou ayant du mal à se déplacer). Lorsqu'ils se trouvent dans des situations délicates, genre échanges de tirs, ils sont chanceux comme des américains au cinéma : les balles les ratent systématiquement ! Bref cette épopée n'est que l'énième resucée d'un hymne à l'Amérique triomphante et sauveuse de l'humanité ( ah, y'avait des alliés ? Pas vu!).
 Georges filme Clooney.  Il s'essaie au sérieux de l'historien maintenant que le cheveu gris a colonisé son crâne mais son  regard est amusé, il pratique l'humour dans toutes les situations, même les pires (non, pas quand il découvre une barrique de dents en or, là au moins, il a la pudeur de se taire) et il porte des Ray Ban, surtout quand il pleut, qu'il neige ou qu'il n'y a pas de soleil... La classe quoi !
Son film n'a pas grand intérêt, utilisant une vague vérité historique, pas du tout exploitée, pour servir de prétexte à quelques scènes d'humour ou d'action dans le plus pur style hollywoodien. A éviter, même par les amateurs de café et les fans de Jean Dujardin.
 .

lundi 10 mars 2014

Un week-end à Paris de Roger Michell


Ils sont anglais, soixantenaires et vont fêter leurs trentes ans de mariage à Paris. Comme beaucoup de vieux couples, ils se chicanent, s'énervent. Mais au fur et à mesure que le week-end avance les griefs, les aigreurs et les doutes vont remonter. Elle, encore pleine de charme, a des velléités pour une vie différente avec ou sans son mari. Lui, moins ouvert, sombre dans une vieillesse avec le regret de n'avoir pas su réaliser ses rêves. Paris sera le cadre de cette passe d'armes entre deux êtres que tout unit mais que tout peut séparer.
J'ai un petit problème avec ce film. Joliment interprété par un couple de comédiens pas trop connus, donnant ainsi une crédibilité plus forte à ce propos ( avec Meryl Streep et Sean Connery au générique, l'impact aurait été différent), j'ai eu un peu de mal toutefois à entrer dans l'histoire, la faute aux dialogues brillants, drôles, incisifs, percutants. Trop, il sont trop bien écrits ! C'est un festival de répliques assassines, drôles, pointues, futées, ironiques. Au-delà du plaisir de les entendre, je me suis demandé comment, un couple, qui parle comme dans une sitcom 24h/24h, alignant les bons mots avec une complicité et un tel appétit, peut-il en arriver à se déchirer ainsi ?  Quand on a un ou une partenaire aussi en connivence, parce qu'il en faut pour rebondir avec esprit au moindre propos de l'autre, comment est-il possible que l'on ait envie de le perdre ?
Les vingts premières minutes de cette comédie romantique m'ont donc paru un peu fabriquées, trop finement taillées pour être vraiment crédibles. Mais le charme des interprètes, la drôlerie du scénario ont fini par l'emporter. Lors de  la scène du repas chez l'ancien camarade de Cambridge retrouvé par hasard (Jeff Goldblum, très drôle), véritable climax du film, l'émotion a même été bien présente, signe que finalement la sauce a bien pris.
Vraisemblablement écrit pour enchanter les lecteurs de "Notre temps" et autre "Bel âge", cible marketing de plus en plus sollicitée en regard de leur pouvoir d'achat, "Un week-end à Paris" est une jolie comédie bourrée de charme, un peu trop fabriquée mais qui saura enchanter le coeur romantique de toute une génération prête à ne rien lâcher.


dimanche 9 mars 2014

Willian Blake ou l'infini de Christine Jordis


Je suis un lecteur curieux et de temps en temps j'aime lire des biographies. D'habitude je m'intéresse à des personnes dont je connais un peu l'oeuvre ou le parcours ou tout du moins dont le patronyme ne m'est pas inconnu. J'avoue mon ignorance, mais le nom de William Blake, vraisemblablement entendu ou trouvé au détour de quelques ouvrages, ne m'évoquait pas grand chose, seulement un poète anglais que je ne situais même pas dans une époque précise. (C'est vrai que la poésie ne berce hélas, ni mes jours, ni mes nuits). Quand j'ai lu sur la quatrième de couverture : "Anticlérical, antimonarchiste, pacifiste, révolté de la misère et de l'injustice sociale, il voulut changer l'homme et le monde.", je me suis senti tout suite attiré pour faire la connaissance de ce personnage du 18ème anglais. 
Avouons-le tout de suite, je suis tombé sur un os. L'homme, le poète est effectivement singulier, original. Sa vie la moins été, oscillant entre pauvreté et moment d'aisance relative et les principaux faits marquants se résumant à quelques déménagements. J'exagère un peu, il s'est marié et a produit une oeuvre considérable jusqu'à sa mort. ( poèmes, gravures, illustrations, ...) Si l'artiste a été considéré à son époque comme fou, et malgré la proximité de quelques érudits de son époque, hormis son oeuvre, il n'y a guère d'autres éléments pour raconter sa vie. 
Christine Jordis, voulant rester au plus près de la vérité, tente bien quelques supputations sur certains épisodes de sa vie, mais se borne surtout à présenter, analyser, éclairer l'oeuvre multiforme de Blake.  
Sa production est énorme mais surtout totalement décalée pour son époque. Blake détestait tous les pouvoirs, de la monarchie au clergé (bien que profondément croyant). Il avait un discours sur la liberté sexuelle et le mariage très très moderne qui lui a permis d'ailleurs de traverser les siècles jusqu'à nos jours où il est étudié pour ses idées décidément bien contemporaines. Sur ces thèmes là, le livre est intéressant mais j'avoue avoir eu plus de mal à accrocher sur toutes les notions d'intérieur de l'homme auxquelles je dois être moins sensible. Si Blake est considéré aujourd'hui comme un visionnaire de par ses idées, à son époque il l'était aussi mais surtout parce qu'il avait de vraies visions. Des représentations imaginaires intenses, généralement bibliques, lui sont apparues  toute sa vie. Il croyait bien plus à ses visions qu'au monde qui l'entourait ( ses oeuvres sont le reflets de cette intériorité ), espérant que l'humain en développerait de semblables  pour une existence meilleure. (Si j'ai bien compris). 
Oui, j'ai eu un peu de mal à entrer dans cette analyse finalement très spécialisée, énormément documentée et émaillée de la présence tout un tas de savants,chercheurs, écrivains de l'époque de Blake, pour moi parfaitement inconnus. Cela n'aide pas à la lecture ou tout du moins dilue sérieusement l'intérêt pour un lecteur lambda comme moi. 
Bien sûr, il est certain que Christine Jordis livre ici un magnifique travail de recherche et de mise en perspective. Cependant, je pense qu'il s'adresse avant tout à des spécialistes de la littérature anglaise ou à des lecteurs très érudits, ce que je ne suis pas. Mais cette lecture, ardue, aura réussi à me faire connaître William Blake et surtout à bien l'ancrer dans ma mémoire grâce à  l'effort  produit pour aller jusqu'au bout de cet essai biographique.


Pity de William Blake 1795


samedi 8 mars 2014

Débandade de Clémence Dumper


Les premiers rayons de ce soleil printanier m'ont donné envie de légèreté. Les conseils de ma libraire, m'ont dirigé vers ce premier roman de Clémence Dumper dont le titre ne cache rien du sujet : "Débandade". Oui, un texte entier avec pour thème l'impuissance masculine, celle d'Alexis, fringuant trentenaire qui n'a jamais pu avoir une érection normale. Il a du désir, des petites amies mais ça ne fonctionne jamais. Le roman va le suivre dans ses tribulations pour trouver un membre viril digne de ce nom. 
Le sujet est casse-gueule, il aurait pu virer au scabreux, mais Clémence Dumper passe les obstacles avec brio. Que ce soit les tentatives d'excitation avec une call-girl offerte par ses amis ou son essai dans une backroom surpeuplée, l'écriture inventive et tendre sauve le texte de toute vulgarité. Teintée d'humour, avec également un peu de gravité, totalement en empathie avec son personnage, l'auteur passe les obstacles avec délicatesse. La première partie, consacrée à cette recherche de l'érection, est très réussie. Elle brosse le portrait d'une société où la jouissance est une obligation et la performance une nouvelle religion et, en catimini, elle dresse aussi (terme obligatoire vu le sujet...) un instantané de la planète sexe au début de 21 ème siècle, de l'asexualité à la consommation instantanée dans quelques lieux dédiés au plaisir. Ca se gâte un peu dans la deuxième partie. La plume est toujours aussi alerte, inspirée même, mais elle n'arrive pas à masquer totalement un propos psychologisant un peu convenu. Cependant, cette direction plus émotionnelle m'a permis d'apprécier la finesse de sa plume, à fleur de peau, au plus près des sentiments. Et soudain surgit Calypso. Non pas la chanson de France Gall ! Une créature (de rêve bien sûr) avec son concert de violons dégoulinant et ses kilos de guimauves écoeurantes. soudain on passe dans l'Harlequin de bas étage, le roman s'enfonce dans le banal !
Je vais être trivial. Le début décrivant la recherche de l'érection est littérairement bandant, mais plus le héros retrouve de la vigueur, moins le lecteur bande...
Ce premier roman assez court, faussement léger, est quand même d'une lecture agréable. La romancière possède une  belle plume mais il lui reste cependant à éviter de vouloir tomber dans le travers des belles fins à tout prix ! Ici, elle casse pas mal la dynamique de la première partie , c'est dommage !

mercredi 5 mars 2014

Rédemption de Matt Lennox


Une ville banale en Amérique du Nord sert de décor au retour de Lee, après dix-sept années de réclusion pour un délit que l'on devine assez sordide. Aidé par un beau-frère pasteur à la religion chevillée au corps et à l'esprit, il va essayer de retrouver un semblant de vie sociale. Sa réinsertion se fait lentement, péniblement, les années de prison étant inscrites dans sa chair mais aussi dans le regard de toute une communauté qui n'oublie jamais. Sa route croisera parfois Stan, flic à la retraite qui voit comme une étrange coïncidence ce retour de Lee et le suicide d'une jeune femme sur un parking. Et puis, il y a Steve, son neveu naît durant sa captivité, adolescent tourmenté par le silence familial sur ses origines.   
Tous les codes du polar sont ici réunis, le décor de cette ville assez triste avec ses bars glauques en périphéries et ses zones industrielles lugubres, une mort étrange, quelques malfrats qui rôdent, la violence toujours omniprésente dans les rapports entre les personnages masculins et pourtant ce n'est pas tout à fait un polar. Le rythme, malgré quelques moments de très haute tension, épouse une certaine lenteur pour porter "Rédemption"  vers le roman psychologique. L'auteur s'attarde sur les personnages, portant un regard lucide et bienveillant sur ses êtres qui doutent. On les suit dans leur quotidien d'où émergent peu à peu les failles, les tiraillements d'hommes pour qui la vie est une longue suite d'épreuves. A coup de phrases courtes et simples, les portraits prennent de l'épaisseur, le lecteur est en empathie et l'auteur a réussi son coup. Nous faisons partie de cette communauté et nous n'en sortirons qu'après un final d'une densité extrême.  
Roman magistralement maîtrisé, englobant intrigue complexe et regards croisés sur l'enfoncement d'une famille dans le silence et réfugiée dans une bigoterie aliénante et du supplice quotidien d'un homme, funambule de la vie, que chaque rencontre peut amener au faux pas et  le faire dévier du droit chemin. 
Irrigué par la religiosité, le titre de ce roman "Rédemption" peut surprendre car ici le rachat des fautes est loin d'être acquis.Le titre original, sûrement moins vendeur (Le charpentier), était tout aussi chrétien mais peut être plus proche de la réalité de ce roman. Un vrai et bon artisan de la littérature se risque au roman noir et, au lieu d'utiliser comme beaucoup, sans grâce et sans génie, les codes du genre, produisant à l'arrivée un livre mille fois lu, arrive à détourner à son profit tous les écueils pour au final offrir un roman d'une grande intensité. Pas du tout une armoire Ikéa, "Rédemption" a la beauté d'un meuble d'ébéniste ou plutôt la charpente d'un édifice somptueux. Chapeau pour un premier roman !

mardi 4 mars 2014

Week-ends d'Anna Villacèque



Et encore un film français sur le couple (et l'amitié aussi) ! Un film chronique où on prend le temps de regarder évoluer les personnages dans des situations quotidiennes et banales. 
Amis de trente ans, deux couples ont l'habitude de se retrouver durant leurs week-ends dans des maisons voisines sur la côte Normande. Mais Jean (Jacques Gamblin), le mari de Christine (Karin Viard), la quitte. Consternation, colère, questionnements vont alors hanter les personnages. Au fil de différents week-ends, la situation va changer. Christine va sombrer peu à peu dans la dépression, les amis vont être les témoins quasi muets de cette chute et Jean va bientôt réapparaître avec une nouvelle femme, mettant les amis dans l'inconfortable situation d'une amitié compliquée à gérer. 
Le film démarre pas mal, portée par une Karine Viard très présente qui donne le  peps idéal pour accrocher le spectateur. Son personnage, trop excessif, rend les autres totalement atones et fades, mais ce n'est pas grave, on n'a de toutes les façons d'yeux que pour elle. Cependant le doute arrive, les dialogues plats dévolus à Noémie Lvovsky et Ulrich Tukur (les amis) ont du mal à faire croire que ces gens là puissent être amis ou alors ils n'ont rien de rien à se dire. Et très vite, Karin disparaissant petit à petit de l'écran, le film sombre. Et quand le scénario  daigne s'intéresser enfin au mari infidèle, il est trop tard pour rattraper la sauce. 
On sent bien qu'Anne Villacèque (la réalisatrice ) et Sophie Fillières ont voulu nous montrer le difficile passage quand, dans un réseau amical, un couple se sépare. Mais en voulant aussi traiter de la routine de la vie à deux, de la souffrance silencieuse à l'intérieur d'un couple, elles ne parviennent hélas, au final qu'à effleurer les sujets. Filmer une vie qui se fissure peu à peu réclame un regard un rien plus intrusif. En restant dans une trop grande délicatesse douce amère, en occultant le drame intérieur du mari volage et dialogué très platement, le film rate sa cible. Dommage.... 
PS ( un détail ) : mais quelle idée d'avoir mis cette voix off improbable qui alourdit encore un peu plus le propos !

 

lundi 3 mars 2014

Waimarama de Franck Monnet



Je ne connaissais pas les précédents albums de Franck Monnet, juste vaguement quelques chansons écrites jadis pour Vanessa Paradis. C'est donc sans l'ombre d'un à priori que je me suis plongé dans l'écoute de Waimarama et j'en suis ressorti séduit.
Mettons-nous tout de suite d'accord, cet album ne joue pas les gros bras. Il évoque plutôt une soirée sur une plage à Rio, un feu de bois, une guitare sèche et une rythmique douce. Ok, il habite en Nouvelle-Zélande, je ne connais pas la musique de cette partie du monde, je ne sais pas si elle a influencé la composition, mais j'ai retrouvé un peu de cette indolence brésilienne.
Les mélodies accrochent tout de suite l'oreille et on a plaisir à les réécouter et à les fredonner. Celle de "Différents" m'est restée dans la tête pendant deux jours. Simples, souvent accompagnées de guitare sèches, rehaussées avec des choeurs vers la fin, les dix chansons qui composent Waimarama nous parlent de la vie simple d'un homme qui prend le temps de vivre et d'apprécier simplement ces petits bonheurs qui font le sel de chaque jour. On y ressent une certaine plénitude, une grande sérénité acquise au fil de quelques petites épreuves qui pointent le bout de leur nez, teintant d'un peu de gris cet univers proche du cocon protecteur. C'est plein de douceur, un peu nostalgique ( "Sans John" très réussi hommage à John Lennon mais aussi regard sur son passé et "La belle industrie, au rythme début du siècle dernier ), faisant pénétrer l'auditeur dans une tendre intimité. La voix, au diapason des compositions, simple mais essayant parfois des éclats dans les graves ou les aigus, au gré de chansons ne se conformant pas toujours au classique couplet/refrain/couplet/...,  donne à l'ensemble une touche plus complexe. Les instruments à cordes sont les principaux accompagnateurs de ces compositions, les nimbant d'un voile musical délicat. La guitare sèche donne le rythme, les violons et violoncelles viennent souligner la plénitude de la vie du chanteur ( mais pas sur "Waimarama" plus électrique).
Sans fanfare, l'émotion dans la voix malgré une petite retenue, Franck Monnet m'a séduit par la douceur de morceaux où la tendresse s'impose comme une évidence. Album d'un homme qui a choisi une vie simple loin de tout tapage médiatique, "Waimarama", va accompagner à merveille le  printemps qui vient.


"Waimarama" le clip....

samedi 1 mars 2014

The Grand Budapest Hôtel de Wes Anderson



Du grand cinéma ! Du vrai, du divertissant, du profond, du surprenant ! On trouve tout dans "Grand Budapest Hôtel ", du rire, des larmes, de l'action, des stars, de l'invention, du génie. 
Pas la peine de raconter l'histoire, elle est de celle qui vont à cent à l'heure, qui vous attrape dès le premier plan et ne vous lâche plus jusqu'au générique. Et autant se laisser surprendre en n'en connaissant pas grand chose.
Entrer dans l'univers de Wes Anderson ne doit pas vous intimider. C'est évidemment un auteur, un grand maintenant. Oubliez l'ennui que vous avez peut être éprouvé devant "La vie aquatique " ou "A bord du Darjeeling Limited ", il n'existera plus désormais. Tous vos sens seront en éveil et ce, dès la première image. Chacun des plans de ce film est un régal pour l'oeil et pour l'esprit,  avec toujours un cadrage surprenant ou des couleurs pétantes ou des personnages avec une posture un rien décalée ou un détail incongru, un peu bizarre, baroque ou rigolo. Cela peut évoquer Méliès avec ses décors peints ou en carton-pâte, mais aussi un jeu vidéo relooké univers enfantin des années 30 ( époque de l'histoire). On peut penser que c'est indigeste, mais c'est juste épatant de création et d'inventivité. Cette explosion esthétique magnifie une histoire tout aussi délirante qui ne ménage ni rebondissements, ni suspens, ni humour, ni émotion. Et, pour les plus intellos des spectateurs, les chercheurs de références, elles sont multiples sans être pesantes mais l'univers de Stéphan Sweig reste bien présent, Wes Anderson ayant puisé dans plusieurs de ses ouvrages pour bâtir son scénario. 
Cerise sur le gâteau, le casting du film est, lui aussi, au diapason. Ralph Fiennes est parfait en concierge méticuleux qui rend fou les vieilles dames riches. Il est entouré de toute une pléiade de stars que l'on prend plaisir à découvrir au fur et à mesure de leurs apparitions. Ok,  je n'ai pas reconnu Tilda Swinton en très vieille dame, mais son apparition reste quand même, comme toujours, d'un grand esthétisme. J'ai hélas reconnu Mathieu Amalric (peu convaincant en anglais) et soupiré en découvrant en servante, l'omniprésente et toujours aussi  agaçante Léa Seydoux ( c'est vrai qu'on la voit peu et qu'elle a une ou deux répliques du genre  "Madame est servie !"). Mais Owen Wilson, Adrian Brody, Bill Murray, (les fidèles du réalisateur), Willem Dafoe apportent leur touche avec jubilation. 
Je suis ressorti de "The Grand Budapest Hôtel" avec la formidable impression d'avoir passé presque deux heures hors du temps. Les yeux remplis d'images et la tête dans les étoiles, ce dernier long métrage est mon premier grand coup de coeur de l'année.