mercredi 22 avril 2015

Jauja de Lisandro Alonso

Viggo Mortensen est un acteur qui a passé son année 2014 ( 2013?) à parcourir le désert. Tel un Théodore Monod en version belle gueule du cinéma, il a ainsi affiné sa silhouette, musclé ses jambes et accessoirement participé activement à la promotion d'un cinéma pas toujours facile. Après "Loin des hommes " où il arpentait des chemins caillouteux algériens, le voici dans "Jauja" à déambuler longuement dans la pampa.
Nous sommes en Patagonie, à la fin du 19ème. Un officier danois est nommé pour diriger quelques soldats perdus, en butte à des autochtones opposés à une conquête de leur territoire. Ce capitaine est accompagné de sa fille, 17 ans à tout cassé, seul élément féminin dans un univers de mâles. Sous une allure des plus sages, due à une éducation que l'on devine traditionnelle, se cachait en fait une adolescente au corps en fusion. Elle s'enfuira nuitamment avec un jeune soldat. Le père, fou d'inquiétude, partira à sa recherche...
Ainsi raconté, cela a des allures de western. A l'écran, il en est tout autre chose. Lisandro Alonso, amoureux des longs plans fixes, crée un univers singulier, un rien lunaire, où les personnages posés, qui sur une plage, qui sur ou devant un rocher, dissertent, échangent des propos un peu obscurs, se masturbent, évoquent un quotidien de soldats. Cette économie de moyen embarque le spectateur dans un espace/temps insolite, où très vite on se rend compte que l'histoire n'a guère d'importance. Quand le personnage interprété par Viggo Mortensen prend la route, le film va verser dans un long road-trip ontologique pour s'achever par un final surréaliste, donnant à l'ensemble une portée soudain nouvelle.
Même si le spectateur est amené à se questionner par rapport au récit, vous vous doutez bien que l'heure quarante-huit que dure tout cela ne passe pas à la vitesse d'un John Ford. Il vous faudra, avant d'éventuellement vous retourner délicieusement l'esprit à chercher des points d'ancrage, vous coltiner de très nombreux plans fixes où Viggo apparaît en haut de l'écran dans un paysage de pampa, le traverse au rythme de son cheval, ( celui du petit trot car on ne galope pas dans "Jauja" !) et disparaît enfin ....pour réapparaître dans un autre endroit, toujours en haut de l'image....et...  Oh ...il est à pied cette fois-ci ! Et ...ouh là, ... il va en mettre du temps à arriver à l'autre bout de l'écran (heureusement carré) car les randos ça fatigue son homme !...Comme disait intelligemment un spectateur visiblement conquis à la sortie du film : "J'ai beaucoup aimé me laisser aller à cette notion originale du concept de temps !", façon totalement épatante de ne pas dire que c'est pas mal rasoir.
Le film n'est toutefois pas exempt de certaines qualités. Les longs plans sont admirablement composés et on retiendra aussi une proposition un peu radicale mais intéressante de créer une oeuvre cosmico picturale, façon peintre plutôt abstrait. Cependant ce jeu sur la durée et l'espace/temps peut venir à bout de la patience du spectateur le mieux intentionné du monde et malgré la présence de Viggo Mortensen, nettement moins bien utilisé que dans "Loin des hommes", le film reste un essai original, un peu hermétique ....comme si Tarkovsky s'était essayé au western...


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