dimanche 19 avril 2015

Taxi Téhéran de Jafar Panahi


Impossible de parler de ce film sans évoquer sa geste politique, ce tournage bravant les interdits de la dictature islamiste, ce pari fou de le faire sortir d'Iran et de le projeter sur tous les écrans du monde. On ne peut que saluer le courage de Jafar Panahi, son amour et sa foi en un cinéma qui saura, le plus souvent, être du bon côté de l'humain. Quand on sait que c'est au péril de sa liberté qu'il nous offre ces images, on peut penser que l'Ours d'or décerné à la dernière Berlinale est un signe fort. Rien que pour cela, il est bien sûr évident que se rendre dans une salle  projetant "Taxi Téhéran" est un geste de soutien. Cependant, même si je sais que certains me reprochent mes bémols pour les films ou courageux ou fragiles, je ne suis pas certain que ce long métrage soit, artistiquement parlant, un chef d'oeuvre.
Je rappelle le principe du film, emprunté à Kiarostami. Jafar Panahi conduit dans les rues de Téhéran un taxi dans lequel il a placé de petites caméras numériques camouflées, m'a-t-il semblé, dans de la jolie fourrure acrylique. Nous allons voir se succéder différents "clients" ( à ce que l'on sait, la plupart sont des amis) qui donneront par leur histoire personnelle une vision de l'Iran d'aujourd'hui.
Quand on visionne l'oeuvre, il est difficile de faire la part des choses. Documentaire ? Film ? Dialogues et situations écrits ? Réflexion sur le cinéma entre fiction et réalité dans un univers où tout peut être filmé par un iphone, un ipad ou un appareil photo ? Tout cela imprègne le film en filigrane car tous ces moyens sont utilisés dans le film. C'est sans doute la partie la plus passionnante.
Par contre ce qui nous est donné à voir en premier lieu n'est pas tout à fait excitant. La succession de personnages, parfois au bord du cabotinage, abordent donc la vie dans la société iranienne. C'est parfois assez drôle comme lors du transport de l'accidenté de la route, assez militant dans la bouche de l'avocate mais parfois lourdingue lorsque c'est notamment asséné par la nièce du réalisateur,  dix ans à tout cassé, hélas présente pendant un bon tiers du temps. Certes elle nous égrène les codes rigides de la censure locale mais avec un tel aplomb que l'on se dit que la jeunesse iranienne est rudement affirmée. On la perçoit étrangement plus libre, voire plus chanceuse que ses consoeurs françaises, traversant seule des rues très passantes, allant boire un café glacé avec un homme inconnu et ayant la chance de suivre des cours de cinéma dans son école visiblement primaire...(ou elle est sacrément en avance ou dans une école alsacienne locale) ! Là, je l'avoue, j'ai commencé à tiquer. L'impression de voir défiler toute la population bobo de Téhéran, iphone greffé à l'oreille et pouvant visionner sous le manteau des films interdits grâce à leur argent et à un réseau de revendeurs s'est alors imposée.
Les bobos souffrent bien sûr sous un régime totalitaire, et l'on en est conscient, mais cette démonstration laisse un goût amer. C'est une sensation proche de celle que l'on éprouve devant comme tout un public au festival de Cannes, habillé sur son trente et un, applaudissant et s'esbaudissant pour un film sur la misère du monde puis filer fêter l'accueil critique de l'oeuvre dans une soirée au minimum champagnisée sur la plage du Martinez. "Taxi Téhéran" brave la censure avec héroïsme c'est certain mais pour qui ? Pour quoi ? Les bobos opprimés parlent aux bobos libres ?
Je m'aperçois que j'étais parti pour défendre un film courageux et au final, je suis bien négatif. Alors, je vais être beau joueur, faisons partie de la grande famille des cinéphiles impliqués, montrons notre soutien à Jafar Panahi, allons voir son film artistiquement pas très réussi, nous aurons bonne conscience par cet acte de soutien ...mais ne venez pas ensuite me dire que le cinéma n'a pas gagné grand chose dans cette histoire là.


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