dimanche 24 juillet 2016

In my fashion de Bettina Ballard



Pour resituer Bettina Ballard, nom inconnu dans nos contrées, surtout soixante ans après la fin de sa carrière, disons qu'elle pourrait être la  grand-mère ( la mère ?) d'Anna Wintour, la prêtresse figée du magazine Vogue, tout du moins une de ses prédécesseures dans la fonction de rédactrice de mode estimée, adulée et crainte.
Les éditions Séguier, toujours très pointues pour redonner vie à des manuscrits de personnes ayant brillé ( parfois sans trop d'éclat) dans les milieux artistiques, publient "In my fashion", souvenirs jamais traduits chez nous depuis leur parution au USA en 1960. Le livre est introduit par une préface enthousiaste de Frédéric Mitterrand qui ne dit pas moins que c'est " l'un des plus beaux livres écrit sur le Paris du XXe siècle, à l'instar de "Paris est une fête" de Hemingway " et que Bettina raconte tout cela avec précision, humour et charme.
Frédéric, on va se calmer un peu ( mais je vous comprends, une préface ça se paye, pas un lecteur même blogueur), redescendre sur terre, ranger l'argenterie et se poser deux minutes sur votre chaise longue Charlotte Perriand. On ne pourra pas enlever à ce livre son témoignage gentillet sur le monde de l'élégance parisienne dans les années 30 et 50, un monde définitivement disparu, où la vicomtesse de Machin Chose passait sa journée à être élégante, courant de manucure en bottier, de salon d'essayage ( haute couture) en soirée chez le Baron Bidule de Truc. Un univers de très grand luxe où une poignée quelques personnalités, triées sur le volet, se pavanait coupe de champagne à la main droite et la main gauche qui explorait des dessous... Ho là.... que rapporte-je là ? Non, non, rien de tout cela dans le bouquin de Bettina ! On ne couche pas chez Bettina ! On est élégant que diable !  On mange de l'omelette au caviar arrosée au champagne Lançon, on pose son séant moulé dans une robe Balenciaga, on est invité à passer le week-end dans la splendide demeure du baron de Truc Muche, on rit d'une bonne blague de la délicieuse épouse de l'ambassadeur des Etats-Unis, vous savez Betsy Rockmachin, la fille du grand industriel, une très grosse fortune, on s'extasie sur la dernière robe Schiaparelli que porte la divine Mrs Mac Michu qui a épousé Lord Mac Michu ( évidemment..) et qui a un si joli pied à terre de 256 m2 donnant sur la Concorde... Voilà, le livre c'est essentiellement une liste ininterrompue d'amis que Bettina Ballard s'est faite à Paris avec l'étiquette Vogue collée sur le front, tous plus beaux, sympathiques, brillants, drôles les uns que les autres. Un monde de luxe que la rédactrice du célèbre magazine américain adore et qu'elle ne quittera jamais même pendant la guerre. Car voyez-vous, Bettina a contribué à l'effort de guerre en s'engageant trois ans à la Croix Rouge . Cela nous vaut les pages les plus drôles du livre. Il faut la voir faire ses valises, refusant la tenue réglementaire, la troquant pour des tailleurs Chanel et prévoyant d'emporter sa cape en opossum par crainte de chambre non chauffée. Humour ? Pas sûr ... Mais rassurez-vous, à la croix- Rouge, elle officiera chez les hauts gradés, se créant comme à son habitude un carnet d'adresse rempli de généraux et autres colonels qui lui fourniront le minimum vital  ( entendre, vol gratos sur us air force, dîners dignes de son rang, ...). Je rappelle que Bettina est toujours célibataire et donc, si on se remet dans le contexte de l'époque, toujours vierge ( elle a une petite quarantaine à l'époque !). Peu importe, Bettina ne parle pas de sa vie privée ( on saura tout au plus qu'elle se mariera après guerre avec un architecte ) et encore moins de celles des élégants et des couturiers qu'elle rencontre.
En bonne amie bienveillante et, quand même, en grande spécialiste de la mode, elle tresse des nombreux créateurs qu'elle rencontre ( et dont elle sera, bien évidemment, une amie intime) des portraits à rendre jaloux Frédéric Mitterrand. Tout le monde est plus que talentueux, gentil, bon, travailleur acharné, visionnaire, amoureux de la femme (élégante donc qui a du fric ). Ca dégouline de sucre ( raffiné ), de mièvrerie, de condescendance. Elle minaude, roucoule, flatte, ... Elle s'extasie sur les coupes sublimes, les tissus luxueux, n'oublie jamais de noter les modèles qu'elle commande pour elle. On lit des propos d'une autre époque assurément, où on avait l'élégance de ne rien dévoiler qui puisse écorner une image savamment agencée durant des années. L'univers de la mode, c'est luxe, calme et volonté. La volupté ?  Quelle horreur, c'est pour les vulgaires ! Moi, monsieur, j'emporte dans mon wagon-lit mes draps en soie fuchsia et je dors sur un oreiller de la teinte de mes cheveux ! Je ne parle pas de ...Oh quelle horreur !
L'arrivée du prêt à porter mettra fin à la carrière de Bettina. La vulgarité de l'élégance pour tous, elle ne le supportera...
"In my fashion" est une plongée très sucrée dans un univers de luxe où l'élégance était synonyme de gens bien nés ou, à la limite très riche. Ecrit sur mesure, surtout pour ne pas déplaire, c'est donc élégant. Mais est-ce si élégant d'avancer dans la vie sans jeter le moindre regard à ceux qui triment pour que quelques uns puissent jouir jusqu'à l'outrance de la vie ? ( Et loin de moi, l'idée de dénigrer le monde de la mode et de la haute couture que je considère comme de l'art...)

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