samedi 1 octobre 2016

Aquarius de Kleber Mendonça Filho


Comment lors de vos dîners en ville, où, immanquablement, une page culturelle sera abordée lors de la dégustation de  la poêlée de girolles de saison accompagnant quelques émincées charolaises, donner envie à vos relations d'aller voir le magnifique "Aquarius", alors que la tablée semble plus tentée d'aller se détendre face au radin Dany Boon qui leur fait de l'oeil ? Exercice difficile et les questions perfides ne manqueront pas. Voici quelques éléments pour vous aider à y répondre.
 Quoi, 2h25 le film ?!! 
Quand un film est bon, on ne voit pas, sent pas le temps passer et ici, c'est le cas. A partir d'une histoire autour de la possible expropriation de la dernière propriétaire d'une résidence appelée à être relookée par un promoteur immobilier aux dents longues, Kleber Mendonça Filho possède ce talent rare de filmer le quotidien de son personnage principal sans jamais ennuyer car, en plus d'un suspens latent, dans le cadre, sont constamment glissés des éléments qui attirent l'oeil, attisent l'esprit et créent au final un concentré de détails qui forment un tableau extraordinairement plus complexe que pouvait le laisser imaginer la situation de départ. Vous ajoutez à cela que nous sommes au Brésil en train de suivre une femme pour qui la musique fut un moteur de vie et vous êtes en plus embringués dans un festival sonore mélangeant aussi bien bossa nova que le groupe Queen.  Belle histoire intense et bonne musique, je serai resté deux heures de plus !
Mais c'est l'histoire d'une vieille, j'ai envie de rêver moi ! 
Bon, la "vieille", c'est Sonia Braga, la Brigitte Bardot brune et brésilienne, mais qui a formidablement bien vieilli. A l'écran, elle a une beauté à tomber par terre, une présence magnétique. Et pour ce qui est de son histoire dans le film, elle peut en remontrer à tout un tas de petites jeunes qui passent leurs loisirs chez HetM et devant " The voice". Et l'on peut rêver face à son histoire et à ce qu'elle vit. Femme de caractère et de combat ( sa lutte contre un cancer 30 ans plus tôt lui a fait perdre un sein), elle entre dans une guerre ferme et intelligente contre un libéralisme qui gangrène le pays tout en n'hésitant à se payer un gigolo pour assouvir un moment de désir sexuel intense ou faire la fête dans une boîte de nuit.  Libre et intransigeante, le personnage, complexe et porteur également de toutes les contradictions d'une société bourgeoise brésilienne, qui n'en a pas fini avec le racisme ordinaire et la domination qui en résulte, assume avec force et beauté son âge. A l'écran, c'est sans doute la plus jeune de tous et très certainement le plus beau portrait de femme que l'on ait vu depuis des mois au cinéma.
Et du toute façon, le film n'a rien eu à Cannes, il ne doit pas être si bon que ça !
Là, il faut savoir jouer fin, car l'argument est réversible. Un prix à Cannes peut servir aussi de repoussoir, collant une image intello à toute oeuvre présente sur la croisette, donc rasoir. Et quand elle est au palmarès, cela peut être pire ! Les lointaines palmes d'Angelopoulos ou d'Apichatpong Weerasetakul ont pu laisser des traces fort ennuyeuses. Sans aller dans la perfidie extrême qui consisterait à dire que les absents du palmarès sont évidemment les films les plus populaires et faciles ( ce serait mettre l'épouvantable " Mémoires des pierres" au même niveau qu'"Aquarius"), il vaut mieux placer le film dans la catégorie " jeune réalisateur prometteur et novateur qui a des choses à dire mais pas encore bien introduit dans le sérail".  On peut aussi ajouter que cette année le jury de Cannes n'a guère été inspiré, cédant trop facilement à l'épate ou au consensus mou. Sans citer tous les grands films qui ont été snobés et repartis sans l'ombre d'un trophée depuis des décennies, on pourra dire qu' "Aquarius" est LE film injustement oublié... et là, on en appelle au Robin des bois ou au Zorro qui pourrait encore sommeiller dans l'esprit des convives.
Moi, je vais au cinéma pour me détendre, pas pour que l'on m'agresse avec  toute la misère du monde !
On respire un bon coup et on range son habituel discours que le cinéma c'est un art qui est là pour nous parler, parfois très profondément... Pour ne pas passer pour un disciple de Télérama avec les Inrocks en intraveineuse, on appuie là où ça fait un peu mal. Quand on a râlé de ne pouvoir aller aux jeux de Rio parce que c'était trop cher, quand on envie V. qui lui y a passé 3 semaines et nous bassine avec sa connaissance du Brésil comme s'il en été natif, on précise ingénument qu'"Aquarius" est un concentré de la vie brésilienne, de ses travers, de ses habitudes, sans le folklore habituel. Il nous parle mieux qu'un documentaire d'une société subissant de plein de fouet les assauts d'une modernité teintée du libéralisme le plus outrancier et sans jamais appuyer le propos, avec la finesse d'un grand portraitiste. Exit la trop présente Rio de Janeiro, l'action se déroule à Récife, ses plages, sa douceur de vivre apparente, sa dureté aussi. Bref de quoi participer à une conversation digne de ce nom sur cet immense pays sans y avoir vécu. Aquarius, c'est un vrai voyage dans un fauteuil pour le prix d'une place de cinéma. Les radins apprécieront, mais les curieux aussi ! Et portons l'estocade finale, en précisant que ce film est un hymne à la vie, la passée et l'actuelle, qui, intimement liées par le regard empathique et sincère du réalisateur, réchauffe la tête et le coeur par une riche puissance narrative.
Qu'on se le dise "Aquarius " est une oeuvre à ne pas rater !




1 commentaire:

  1. Bonjour, je passe par là, revenant visiter des blogs que j'avais listé sur le mien...tour des popotes, qui a fermé, qui est en pause, qui frétille encore joyeusement ... (ce qui semble être votre cas !)
    J'ai vu ce film, je l'ai apprécié ( entre autre pour pas mal des raisons que vous citez ) mais ! pourtant!! j'ai trouvé le personnage principal tres ambivalent : Mère Courage mais manipulatrice, dominatrice, très consciente de sa valeur ( et de sa beauté dont elle joue à fond), bref...fascinante peut-être mais fort peu sympathique au fond. Mais vous avez raison, c'est un film fort et original, et passer 2h30 au Brésil ça n'a pas de prix !

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