lundi 24 octobre 2016

Fraternels de Vincent Borel


Vincent Borel, l'auteur de "Fraternels" s'est posé devant les journaux, a lu et regardé le monde tel qu'on arrive à se le représenter dans le prisme d'articles divers et variés. De ce magma d'informations loin d'être rassurantes, il a fermé ses yeux de créateur et s'est imaginé ce que ces fous furieux d'intégristes religieux, ces esclaves des nouvelles technologies, ces grands chefs d'entreprises cyniques, ces industriels qui pillent notre planète allaient pouvoir devenir dans une bonne décennie. Et comme il se refuse de céder au pessimisme, ce vraisemblable adepte du siècle des lumières a imaginé un avenir qui ne chante pas forcément mais où quelques humains arrivent à avoir un sursaut de bon sens, voire d'humanité. Bienvenue dans 550 pages d'anticipation romanesque échevelées.
Alors, il nous voit comment Mr Borel en 2030 ? ( En fait le roman n'est pas daté, sauf erreur de ma part, du coup, je le place où bon me semble). En 2030, le monde n'est plus géré que par trois ou quatre multinationales très généralistes comme "Opié", l'heureuse détentrice de l'Ifone 12. En plus de  fliquer quasi la planète entière entière avec son engin, elle gère également toute l'énergie dont ont besoin les peuples alentours. Travailler pour "Opié" consiste le plus souvent à vivre sur un siège éjectable. Nombreux  sont ceux qui restent sur le bord du chemin, venant rejoindre la masse de  chômeurs d'une industrie manufacturière laminée par l'arrivée des imprimantes 3D. Pour noircir le tableau, vous rajoutez des problèmes de ravitaillement en minerai précieux, l'Amérique du Sud qui prend soudain la décision de faire tourner les aiguilles de ses montres à l'envers, des émanations de gaz puants en Sibérie signe de changement climatique et des fanatiques religieux toujours aussi présents. Pas gai le monde en 2030 ! Et pourtant, ici ou là, quelques hommes vont se dresser seuls, en groupes semi organisés ou sponsorisés en douce par quelques mécènes humanistes. Ainsi Tyapsa magnétique jeune femme traversera le continent vers un destin emblématique, Yaqut, jeune français passé du catholicisme à l'islam, gay et séropositif, deviendra le leader d'un djihad libertaire prônant le sexe en toute liberté ou un groupe de laissés pour compte se regroupera entre Durance et Verdon  pour sauvegarder plantes, légumes et même livres en papier.
"Fraternels", on le devine est un roman choral. Nous suivrons ces destins dans un monde trouble, dangereux, en proie à un consumérisme porté à son paroxysme. Mais une sorte de chaos pointera son nez, remettant presque les compteurs à zéro. Notre conteur lui s'en donne à coeur joie, jouant comme un démiurge rigolo à faire vivre ses personnages avec autant de brio que d'acuité. Car derrière une inventivité à toute épreuve, se glisse une très belle réflexion sur notre monde, qui si l'on n'y prend pas garde, risque de tourner comme il le prédit. Mais, la vie n'est pas un roman, ou alors noir. Plutôt que de sombrer dans une sinistrose trop contemporaine, Vincent Borel, fabuliste joyeux,  espère des hommes de bonne volonté, qui dévieront ce chemin, aidés à la fois par leur bon sens, leur part de mysticisme et la science. Le roman a du souffle, même si la partie sud américaine accroche moins, et que parfois l'envie de brosser des décors fantastiques ralentit un peu le déroulé du récit. J'ai tourné les pages avec gourmandise. L'émerveillement, les surprenants rebondissements, l'inventivité très maîtrisée et quasi plausible de l'ensemble m'ont épaté.
Si l'anticipation ne vous fait pas peur, si vous aimez que l'on vous raconte des histoires originales, crues, pertinentes, si vous aimez aussi que l'on mette en perspective cette avalanche d'informations qui envahissent vos smartphones ou tablettes, coupez tout ! Posez-vous dans un fauteuil, un lit, une plage et ouvrez "Fraternels", car en plus d'un beau titre, vous découvrirez une fantaisie politico/religieuse intense. 

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