jeudi 1 décembre 2016

L'administrateur provisoire de Alexandre Seurat

S'il y a un point commun entre "La maladroite"  le si réussi premier roman d'Alexandre Seurat et celui-ci, son deuxième, en plus de ce mélange roman/documentaire, c'est sans doute l'incommunicabilité. Mais cette incommunicabilité au sein d'une famille bourgeoise va plus beaucoup plus loin que celles des personnages isolés de son précédent ouvrage, elle résonne sur plusieurs générations et s'appelle ici "secret de famille". 
"L'administrateur provisoire" du titre se nomme Raoul H, bourgeois que l'on sent hautain et fermé. Il gère durant la dernière guerre les biens de juifs réquisitionnés par  l'état français. L'époque sombre permet à ces personnes (10 000 administrateurs provisoires ont été ainsi nommés durant cette période), sous couvert de lois antisémites, de commencer par saigner économiquement ces populations avant que la France de Vichy ne les fasse monter dans les trains de la mort. Cette fonction a bien sûr permis toutes sortes de fraudes, de détournements et mais aussi d'enrichissements personnels des administrateurs. Quand le narrateur de l'histoire, homme un peu indéfini, juste arrière petit-fils de ce Raoul H, commence à s'intéresser au passé de sa famille, il se rend compte que cet emploi sulfureux a été bien camouflé au fond d'une mémoire collective préférant l'oubli ou les miettes réinventées d'un passé arrangé. Après avoir interrogé parents, oncles et grands-parents, ce sont les recherches dans les archives et l'exhumation de vieux dossiers qui révéleront au grand jour les agissements sans scrupule, sans une once d'humanité de l'ancêtre. 
Ce passé peu glorieux a couru dans les têtes de cette famille dont les apparences parurent sauvés par ce passé enveloppé de silence. Mais le roman, par une construction  beaucoup plus complexe que la simple narration d'une enquête historique,  parvient à démontrer que le secret finit toujours par resurgir, voire être sans doute l'élément déclencheur d'une mort trois générations plus tard. En mêlant, exhumations de dossiers oubliés, présence rêvée ou fantasmée d'un grand frère décédé, moments d'un procès dont on ne saura l'exacte teneur qu'en fin de récit et reconstitution romanesque de la vie de juifs spoliés, Alexandre Seurat, ambitionne, avec ce subtil entrelacs de genres, de mener le lecteur au coeur d'un secret vénéneux. C'est grandement réussi tant le rappel historique de cette période si minable de notre histoire nous prend à la gorge durant notre lecture, même si parfois, surtout au début du roman, on se perd un peu dans cette lignée bourgeoise. 
Une fois refermé le livre, bouleversé, on se prend à penser que les secrets de famille ont la vie dure et qu'ici, malgré les efforts redoublés du narrateur pour connaître la vérité, toutes les portes ne se sont pas ouvertes pour autant. Il y a une mort qui hante ces pages, celle de ce frère dont on ne saura pas exactement le pourquoi de sa disparition, prouvant ainsi, que malgré toute la meilleure volonté du monde, les faits proches ne se digèrent pas facilement et seront de toute évidence maladroitement enfouis dans les mémoires avec une espérance d'oubli. 

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