mardi 27 février 2018

Les garçons sauvages de Bertrand Mandico


Attention vous êtes en présence d'un film qui deviendra sans contestation possible totalement culte. Ne pas le voir d'ores et déjà dans une salle obscure sera autant une faute de goût qu'un manque flagrant de curiosité, car, sur les écrans depuis des mois aucun film ne l'égale en matière d'originalité et de beauté plastique ( oui, les deux à la fois, c'est possible).
Cela vaut-il le coup de raconter l'histoire ? Je ne le pense pas car il faut réserver la surprise et surtout arriver vierge et neutre devant les images sublimes de Bertrand Mandico. On peut tout au plus signaler que nous sommes à l'exacte croisée des récits d'aventures que l'on pouvait lire enfant ( mais avant les années 70), comme un métissage de "L'île au trésor" qui aurait copulé avec "Sa majesté des mouches" qui lui même aurait été revu par un Fassbinder inspiré et Jean Genet. De l'aventure donc mais aussi une sexualité ultra présente mais sans scène de sexe. On retrouve donc un joie enfantine devant un conte, un vrai,  avec des tenants et des aboutissants, des sous entendus qui interrogeront notre perception au monde et surtout au genre, notion décidément très inspirante pour beaucoup de réalisateurs.
L'autre tour de force, qui accompagne pleinement la notion de genre, réside dans l'attribution des rôles des cinq adolescents mâles à des jeunes comédiennes qui se révèlent totalement crédibles et donc évidemment plus que  troublantes ( Vimala Pons en tête...décidément quelle comédienne !). Et quand le film les fera débarquer sur une île étrange, à la végétation très sexuellement évocatrice, le trouble grandira encore, jusqu'à un final assez décapant.
Bien sûr le film risque de déplaire à un public formaté aux fictions bien huilées et  bien pensantes ( tant au niveau des idées qu'à une certaine idée du calibrage des histoires et de leur façon de les filmer). Cependant, si l'on recherche à être surpris mais surtout si on aime la magie que le cinéma peut nous procurer à l'instar d'œuvres d'art visionnaires ou très personnelles, nul doute que l'univers de Bertrand Mandico vous fascinera par son inventivité, son culot et son esthétique au service d'une histoire aussi innocente que sophistiquée. Ce long rêve expressionniste donne un plaisir fou en régalant l'œil avec un noir et blanc sublime, titille notre esprit en le bousculant et le faisant se questionner, joue avec notre sexe de la plus innocente des manières ( mais l'innocence existe-t-elle ? ).
Qu'on se le dise, " Les garçons sauvages"  est le grand film français de ce début d'année, une œuvre inclassable mais vraiment inspirée et qui déclenchera de longues discussions tant les richesses autant cinéphiliques que thématiques qu'il recèle enrichiront les débats.


lundi 26 février 2018

Appelle-moi par ton nom de André Aciman


Un été en Italie, les années quatre-vingts, un jeune homme de très bonne famille, Elio, observe l'arrivée d'Oliver, jeune professeur américain invité à passer l'été dans leur grande propriété au bord de la mer. L'attirance est immédiate mais visiblement pas partagée. Sous un soleil radieux, au bord d'une mer d'un bleu infini, ils vont jouer au chat et à la souris. Elio connaîtra les incertitudes du cœur, les affres d'une passion qu'il espère assouvir jusqu'à ce que les corps se rencontrent... Naîtra alors un amour véritable, intense, un de ceux qui marquent une vie à jamais...
L'histoire reste somme toute banale, déjà lu et vu des dizaines de fois, notamment l'an dernier avec  le décevant "Splendeur "de Margaret Mazzantini, déjà en Italie, naviguait peu ou prou sur le même thème de cet amour ineffaçable  et le mois dernier, l'excellent " Les vacances du petit Renard " de Arthur Cahn traitait aussi de l'attirance d'un adolescent pour un homme plus âgé, un été à la campagne ( et à mon avis de façon bien plus convaincante). Cependant, même si le roman ne m'a pas totalement convaincu, force est de reconnaître qu'il arrive à être un brin original dans son traitement et réussit une dernière partie émouvante.
"Appelle-moi par ton nom" se divise en quatre parties dont  l'intérêt va crescendo. Après une exposition assez répétitive, où sont étalés les tourments un peu tirés par les cheveux du jeune héros, atermoiements ressassés de façon un poil agaçante, arrive la rencontre véritable, l'attendu rapprochement des corps, puis une partie romaine qui scellera la passion. Ces trois parties sont toutes parsemées de nombreuses références à des auteurs italiens plus ou moins connus du lecteur, auxquelles vont se mélanger quelques moments beaucoup plus triviaux. C'est ce curieux mélange de la langue littéraire employée que soudain des gouttes de foutre ou autres situations crues vont faire grincer, qui donne au roman cet intrigant relief même si la combinaison surprend et ne s'avère pas toujours convaincante ( disons que la poésie de Dante disséquée façon érudit ne s'amalgame pas toujours très bien  avec un index dans l'anus !).  Mais il faut que le cœur vibre, les corps palpitent et que le désir s'annonce total et intense.
Mais quand les corps se laissent aller, le roman  surprendre un peu plus car, bien plus finaud et bien plus original qu'une simple passion gay éphémère, il prend des chemins bien moins convenus quant à son regard sur les rapports humains et le sexe. Tout en gardant son côté référencé " grande littérature transalpine" , il osera se rire des poncifs et explorer avec subtilité mais assez frontalement, les hasards ambivalents des rencontres et de l'attirance sexuelle.
Je ne dirai rien d'un final, abandonnant enfin toute pause littéraire pour ne se concentrer qu'à l'émotion, choix qui se révèle gagnant.
Même si "Appelle-moi par ton nom" souffre de quelques longueurs et d'un verbiage un peu pompeux, il arrive sur sa deuxième partie à emporter le lecteur. Maintenant, il sera intéressant de voir l'adaptation cinématographique qui sort ces jours-ci sur les écrans...
PS : ce roman avait déjà paru aux éditions de l'Olivier en 2008 sous le titre " Plus tard ou jamais". 

vendredi 23 février 2018

La journée de la vierge de Julie Marx


"La journée de la vierge", c'est bien sûr le 15 août, jour de détente estivale par excellence qui représente à lui seul la quintessence d'un été merveilleux que l'on partage sous le soleil avec ses amis ou au pire avec son, sa partenaire... Et quand on est trentenaire, célibataire, seule dans son petit appart' à Paris comment éviter ce sentiment de défaite qui peut vous envahir quand on fait ainsi face à sa solitude ? L'héroïne du premier roman de Julie Marx décide de passer ce jour férié sans voir personne et de faire une sorte de point sur sa vie. Evidemment, rien ne se passera comme prévu entre la mort de Beethoven, son unique plante verte ( parce que dure de la feuille), la visite de sa voisine ex suicidée ratée ou la rencontre avec sa patronne toute aussi seule qu'elle...
Résumé ainsi, on peut s'attendre à un énième roman proche de la chick-lit, resucée franchouille de la dorénavant inévitable Bridget Jones... et l'on se trompera lourdement. Même si son héroïne pratique à ses moments perdus le stand-up dans un petit théâtre, le texte de Julie Marx ne s'embarque jamais dans cet humour grinçant ou nunuche que beaucoup ont adopté après avoir fait leurs armes sur un blog. Certes le texte joue avec le concept mais se débrouille pour être pertinent, impertinent même sans jamais tomber ni dans l'humour facile, ni dans le tristouille geignard que pourrait engendrer la situation. Nous naviguons dans un entre-deux bien plus profond et créatif, cernant au plus près cette solitude urbaine et contemporaine et brossant un portrait juste d'une trentenaire qui a tout pour être bien accompagné mais qui pourtant ne l'est pas. Elle est jolie, a de la gouaille, des amis, est inscrite sur des applications ( on notera au passage que dorénavant les sms et les sites de rencontres sont des éléments inévitables dans le roman d'amour contemporain ), est à priori libre dans sa tête mais le célibat ( ici il s'agit plutôt de solitude) s'accroche à elle comme un enfant de trois ans à son ipad.
Nous la suivrons durant toute une journée, mêlant souvenirs passés ( un pensée réjouie pour le donneur du meilleur cunni de Paris) et galères du présent, entre rires qui s'étranglent parfois quand le mal de vivre repointe son nez et peur d'un lendemain que rien ne semble pouvoir arrêter.
Sans jamais rendre son récit plombant, Julie Marx grâce une observation parfois goguenarde de cette trentenaire parvient à nous offrir un premier roman au style singulier et prouve que sur un thème rebattu, on peut faire original et agréable à lire. Premier roman que l'on espère suivi de beaucoup d'autres !


mercredi 21 février 2018

Winter Brothers de Hlynur Pàlmason


Comment donner envie d'aller voir un premier film danois, réalisé par un islandais et se déroulant l'hiver dans une sombre mine de calcaire au fin fond du Danemark ? Ce n'est pas gagné d'avance, surtout si je rajoute deux trois éléments qui n'ont rien de vendeur mais qui donnent à ce film son originalité, sa force, à savoir un travail sur la bande son extrêmement méticuleux, jouant beaucoup sur les bruits sourds de la mine mais aussi sur une partition musicale...disons très contemporaine ( dans le sens un peu dissonant) et sur une mise en scène empreinte d'un regard tout aussi contemporain qui cherche le plan signifiant, l'image très graphique qui rappelle que son réalisateur est issu du milieu des arts visuels ( pour les néophytes, un artiste visuel expose des travaux qui paraissent toujours étranges aux adeptes du classicisme, genre des bouts de tuyaux photographiés sur du béton brut mais sale un soir d'hiver ou des vidéos qui semblent tournées par un ado ayant trop forcé sur le shit... ce qui n'est peut être pas le cas de Hlynur Pàlmason...car on ne trouve pas grand chose sur le net de ses travaux hors cinéma). 
Faut être clair ( même si le film débute par une scène dans le noir de la mine), jamais tous les éléments décrits plus haut n'alourdissent le film bien au contraire, ils permettent de s'ancrer au mieux dans cette histoire de rivalité entre deux frères dont l'un, un peu frustre, arrive à se créer un petit statut social au sein de cette équipe d'ouvriers, en leur vendant une mixture frelatée de sa composition qui sert à les réchauffer durant le travail ( et malheureusement à en tuer un, tellement les ingrédients sont nocifs). Dans cet univers rude, où les femmes sont rares et les frustrations nombreuses ( en plus ils logent dans de sordides Algeco posés en rase campagne comme un camp sinistre ), Emil va passer de copain intéressant à paria ou comment un jeune homme qui n'a pas grand chose pour lui va devoir supporter de passer pour invisible.
C'est vrai que le scénario lui non plus n'est pas vendeur... Et pourtant vous passerez une heure et demie totalement dépaysante ( ce n'est pas tous les jours que nous voyons un film dans ce milieu ). Votre regard sera cajolé par un nuancier de gris des plus beaux, le film s'ingéniant à vous faire ressentir au plus profond de vous ce froid, cette rigueur, cette hargne qui envahit le héros. C'est à un voyage sensoriel et émotionnel que vous convie ce film qui, malgré la virtuosité de sa forme, reste toujours simple dans sa plongée psychologique. Le festival Premiers Plans d'Angers ne s'y est pas trompé, Catherine Deneuve et son jury lui ont donné leur prix ( ex aequo) le mois dernier ...




jeudi 15 février 2018

Le retour du héros de Laurent Tirard



"Le retour du héros", avec son scénario improbable et sa mise en scène basique parvient quand même à nous faire passer un agréable moment. Quelle est donc la recette qui permet à ce film de tirer un peu mieux son épingle du lot ?
Tout d'abord,  l'effet comédie en costumes (qui peut rappeler à une génération plus ancienne des comédies pétillantes de Philippe de Broca ou de Jean-Paul Rappeneau ) peut apparaître un peu plus charmant et original que les sempiternels intérieurs cosy à la Ikéa dans lesquels se déroulent bon nombre de comédies censées être sautillantes. Le regard se trouve un peu plus surpris à suivre nos héros de salons anciens avec moulures et fauteuils Voltaire en jardins immenses propres à un certain marivaudage.
Si l'histoire du retour d'un ancien capitaine de l'armée napoléonienne auprès d'une famille bourgeoise pêche parfois par facilité, force est de reconnaître que les dialogues pétillent pas mal, surtout dans la bouche d'une bande de comédiens absolument formidables. Et c'est là que ce situe la bonne surprise du film ! Jean Dujardin, ne surprend pas mais fait le boulot, parfait dans son registre de toujours, le mâle hâbleur, séducteur mais un peu lâche. Face à lui, et c'est presque une découverte ( je dis presque parce qu'on la savait bonne comédienne), Mélanie Laurent, absolument merveilleuse, à la fois piquante, perfide, drôle, joue à la perfection toutes les gammes de la comédie. C'est elle qui porte le film et nous fait oublier les quelques invraisemblances du scénario. On la suit avec délice, tenant avec malice la dragée haute à la star Dujardin. Et autour d'eux, dans des rôles certes un peu caricaturaux, trois comédiens font eux aussi des prouesses de drôlerie, osant une interprétation au bord du too much, apportant ce petit plus de folie qui manque à la mise en scène. Noémie Merlant en cadette un poil nympho et hystérique, Christophe Montenez en mari pleutre et Evelyne Buyle en mère pétrie de bonnes manières forment,en second plan, un trio savoureux.
Bien dialogué, remarquablement interprété, "Le retour du héros" se hisse sans problème au-dessus du lot de bon nombres de productions françaises formatées pour le rire gras parfois et vulgaire ( comme il y a peu...suivez mon regard). Sans être un chef d'oeuvre, le film fait passer un agréablement moment et c'est déjà beaucoup.


lundi 12 février 2018

Les règles...quelle aventure ! de Elise Thiébaut et Mirion Malle


Il existe un pan de la production littéraire destinée aux adolescents qui mériterait que les adultes y jettent plus qu'un œil. Les thèmes développés, les histoires proposées n'ont qu'une frontière ténue entre les romans dits pour adultes et souvent obtiennent un succès grand public ( pour rappel Harry Potter, Hunger Games ou Twilight étaient destinés à un public ado).
"Les règles... quelle aventures" , qui se classe plutôt dans les livres pratiques, s'adresse principalement aux jeunes filles qui se trouvent fort dépourvues lorsque du sang se met à couler entre leurs jambes. Mais dès la couverture, avec sa guerrière franchement conquérante, le ton donné à ce petit guide d'une soixantaine de pages laisse présager que l'on a affaire à quelque chose qui devrait défriser un peu...
Au milieu des considérations scientifiques, techniques ou résolument pratiques inhérentes à ce type d'ouvrage, le propos n'hésite pas à aller scruter dans l'Histoire, la religion, la sociologie, la mythologie, pour traquer ce qui reste encore même de nos jours un tabou. La jeune fille qui lira avec gourmandise  ( car oui, c'est extrêmement plaisant à lire ) ces pages teintées d'un militantisme réjouissant, se verra répéter comme un mantra ;: " Non, les règles ne sont ni sales, ni dangereuses !" Et de déglinguer au fil des pages des idées reçues souvent promulguées par les religions et les mâles, histoire de reléguer la femme au second plan et de promouvoir à tout jamais un patriarcat tellement pratique.  Non une femme ayant ses règles ne rate pas plus la mayonnaise qu'un homme ! Non les règles ne dessèchent pas les récoltes ou ne tuent pas les limaces dans les champs ! Ces superstitions, avec tout un tas de diktats religieux autour des menstrues, ont donné naissance dans les sociétés à un modèle qui n'existe pas : la faible femme. Dès lors du fait de cette place subalterne , en lisant ce qui est en fait un remarquable petit essai, on s'apercevra que la médecine s'est intéressée très tardivement à la compréhension de l'ovulation chez la femme ( en 1924 par le bon docteur Ogino et après guerre pour s'intéresser aux règles douloureuses), signe d'inintérêt d'un monde essentiellement masculin pour ce qui est de la moitié de notre humanité. 
Les auteures nous rappellent également que parler des règles reste un tabou ! Beaucoup de femmes restent très discrètes sur cet état pourtant naturel, redoutant les réflexions désobligeantes de leur entourage ( et pas forcément que masculin). Là aussi, elle martèlent un " on doit parler des règles, librement, et sans honte, aux filles comme aux garçons." même si le fait d'avoir ses ragnagnas " ne regarde personne et ne doit pas être utilisé contre toi". Ce ne sont pas les publicitaires qui vont aider à ce mouvement de libération puisque, rappelons-le, à l'écran, le sang menstruel est bleu ! ( A croire qu'il ferait encore plus peur que n'importe lequel des films gores ou que les femmes sont des clones de la schtrompfette  !).
Dans une bibliographie  à faire lire aux jeunes filles, il est certain que "Les règles... quelle aventure !" devrait y être d'office intégré. C'est exactement le genre d'ouvrage qui donne de l'élan aux jeunes filles pour qu'elles croquent la vie à pleines dents. Jamais prêchi-prêcha, formidablement documenté, n'hésitant pas  à élever le débat avec humour , il peut être lu par tout le monde, les garçons comme les filles et quelque soit son âge, on y apprendra des choses.


dimanche 11 février 2018

Emma G. Wilford de Zidrou & Edith


" Emma G. Wilford" est un album rare, un magnifique objet, une sorte d'écrin agrémenté de doré et ayant presque la forme d'un coffret de jeune fille ( de bonne famille et de bon goût, car ici aucune variante de rose Barbie n'apparaît). L'ouvrir nous plonge immédiatement dans un univers que l'on imagine intime et secret, car nous tombons sur une sorte de cahier relié à la couverture au luxe non ostentatoire mais que l'on imagine acheté chez un papetier anglais raffiné. Puis l'histoire débute dans l'Angleterre des années 20 dans le parc d'une vaste demeure familiale de l'Essex, un jour d'été caniculaire. Deux jeunes femmes devisent sous les frondaisons. L'une est enceinte, l'autre, plus jeune, écrit des poèmes et semble un poil plus délurée. En quelques planches, le décor et le genre semblent posés, l'esprit d'une certaine littérature anglaise féminine aux allures légères mais toujours trompeuses plane. Mais l'histoire se noue, se déploie et c'est vers Jack London que la suite va faire penser, mais un Jack London qui aurait pris une femme pour héroïne.
Sur un habile scénario de Zidrou, aux dialogues ciselés, nous suivrons les aventures d'Emma jusqu'au fin fond de la Norvège où son romantisme échevelé n'enlèvera rien à sa détermination ni à son absolu sentiment de liberté. Les dessins d' Edith, somptueusement mis en couleur dans des tons automnaux et doux, accompagnent malicieusement cette jeune fille exaltée et sans complexes ! Ce doit être l'époque qui veut cela, mais il semblerait qu'enfin, même scénarisées par un homme, les femmes en bandes dessinées n'ont plus le rôle de pauvres filles qui subissent les événements tout en étant soumises et joliment déshabillées. En route dont pour de vraies histoires où, même si de pures jeunes femmes subissent encore les assauts de certains hommes ( dans les années 20, #balancetonporc était inimaginable), celles-ci savent user d'intelligence, de confiance et courage pour avancer dans la vie.
"Emma G.Wilford" , album aussi beau à l'extérieur qu'à l'intérieur, passionne, captive de bout en bout. En un mot, une réussite !
PS : Quand vous l'ouvrirez pour la lecture, ne le feuilletez pas, de petites surprises se trouvent cachées entre les pages, petits éléments qui vont donner encore plus de plaisir et de force à la lecture !








mercredi 7 février 2018

Jusqu'à la garde de Xavier Legrand


Chef d'œuvre annoncé, avec cette fois-ci deux prix au festival de Venise, "Jusqu'à la garde" tient-il les promesses d'une promo centrée ( avec raison) sur le problème des femmes battues et de l'enfant  otage de ses parents qui se déchirent ?  ( Avec, quand même,  une autre question, alors que les français se ruent en masse aux "Tuches 3" , seront-ils tentés par un film très sombre  sur le divorce?  )
Le film débute et se termine par deux longues scènes de genre différent. La première,  quasi documentaire, à la durée peu usitée dans le cinéma se déroule dans le cabinet d'un juge. Saisissant moment de vérité qui d'emblée plonge le spectateur dans une réalité et un questionnement intense. Qui de cette femme mutique, au visage fermé et de cet homme, massif, à la rondeur possiblement rassurante si l'on prend garde à ses regards humide, est le plus à même à garder leur enfant ?
Nous sommes à la délicate place d'un juge qui finira par trancher mais aucun des deux n'est véritablement blanc ou noir. La force du film reste dans ce regard de cinéaste à toujours laisser une chance aux personnages ( surtout à celui du père dont on peut penser que les colères cachent peut être un être sensible et brisé). Ensuite le film déploie son récit en évitant le mélodrame, se plaçant souvent à la hauteur de cet enfant tiraillé. Chaque personnage qui au départ paraissait complexe, va progressivement devenir un archétype pour un long final angoissant un peu lourdingue.
Efficace, "Jusqu'à la garde" se hisse facilement dans les films tout à fait regardables. L'interprétation est au top. Denis Menochet comme d'habitude impressionne par la finesse de son interprétation et Léa Drucker, un peu en retrait, subit les événements avec talent. Cependant, on peut regretter que le dernier tiers fasse bifurquer l'ensemble vers le film de genre moins subtil. Mais, à l'heure des combats des femmes contre la violence masculine, ce film tombe à point nommé et pourra servir de base de départ pour un débat.


mardi 6 février 2018

La mise à nu de Jean-Philippe Blondel




Replonger dans un roman de Jean-Philippe Blondel ( JPB) demeure un plaisir formidable. Retrouver ce style simple mais enveloppant qui cerne si bien notre quotidien pour mieux l'intégrer dans une histoire qui sait nous happer, participe pleinement au plaisir de lire. Et cette année, bien plus percutant que "Mariages de saison " son précédent roman, " La mise à nu"  est un must dans son œuvre.
Louis, le personnage principal, approchant la soixantaine, quelque part une projection de l'auteur même si celui-ci est un poil moins âgé,  retrouve lors d'un vernissage dans sa ville ( on reconnaît Troyes là où habite JPB) un ancien élève ( JPB est prof d'anglais aussi), Alexandre, qui a réussi à percer dans la peinture, ses tableaux commençant à être exposés partout en Europe. Ce trentenaire fringant va proposer à son ancien prof de se revoir autour d'un café. Et ainsi va débuter entre les deux hommes  un drôle de jeu, ambiguë, où chacun va petit à petit se mettre à nu, au figuré comme au propre pour Louis.
Le roman joue sur plusieurs tableaux et ça tombe bien puisqu'il est question de peinture. Un récit principal met face à face ces deux hommes d'une génération différente. C'est le motif central, intrigant, mené comme un thriller psychologique, voire sensuel. On découvre peu à peu l'attachement troublant de l'un, les desseins de l'autre sans jamais vraiment savoir vers où cela va nous mener. En toile de fond, se dessine le portrait d'un homme qui se retourne sur son passé et qui fait le point. Exercice cruel sur les désirs de la jeunesse que la vie réellement menée, les enfants et le métier ont englouti dans l'ordinaire. Regard aussi sur le vieillissement, sa plus ou moins bonne acceptation. Et tout autour, glissés entre ces éléments, des récits de cette jeunesse qui n'espérait peut être pas l'exceptionnel, mais quelque chose de pas trop conformiste comme parfois Louis le sentit dans son corps lors d'escapades à jamais gravées dans la mémoire. ( Pour les habitués de JPB, on retrouve des thèmes développés dans des romans précédents). Tout cela forme un ensemble d'une richesse narrative et émotionnelle franchement prenante et réussie.
Jean-Philippe Blondel parvient à nous émouvoir de la plus belle des façons, c'est à dire sans esbroufe ni calcul, simplement, mais avec une retranscription parfaite de cette prise de conscience que tout humain occidental éprouve lorsqu'il s'aperçoit que le nombre de cartouches à brûler s'épuise inexorablement. Toutefois, le plus réussi reste le suspens trouble qu'il fait naître entre les deux hommes, genre que l'auteur n'avait pas beaucoup exploré jusqu'à présent et dont la lente montée en puissance nous laisse espérer un dénouement...autre que celui qui nous est proposé, très, trop, tellement ouvert qu'il brouille l'interprétation comme si JPB avait eu peur d'un certain dévoilement...
Mais ce léger bémol n'empêche nullement de réserver une après-midi de lecture pour se plonger dans "La mise à nu", pour moi le meilleur de son auteur ( qui en a écrit pourtant un bon nombre d'excellents).



dimanche 4 février 2018

Vie et mort de David Hockney de Catherine Cusset





Le projet de Catherine Cusset est osé. Ecrire la vie de quelqu'un alors qu'il est encore vivant, célèbre, sans le rencontrer, juste en lisant ses nombreuses interviews, en regardant son œuvre et, avec malice, intuition et respect, combler les trous laissés dans l'ombre. Le pari est réussi. La vie de David Hockney se lit ( presque) comme un roman. Presque.... parce que malgré tout, c'est aussi une biographie ainsi qu'un vade-mecum pour entrer dans son œuvre ( qui nous aurait été bien utile lors de la rétrospective à Beaubourg l'an passé).
Je ne raconterai pas ici la vie du célèbre peintre anglais dont bien sûr la vie ne se résume pas avec les quelques mots qui lui sont désormais associés : couleurs, piscine, lunettes rondes, blond peroxydé. Le roman montre bien que c'est avant tout un grand artiste qui a du combattre son époque pour imposer ses idées, son mode de vie. Il s'est d'abord battu contre lui-même, son extraction d'un milieu simple et aimant, sa découverte de l'homosexualité alors punie par la loi puis contre l'establishment du monde de l'art ensuite, qui dans les années 60 ne voyait que par l'abstraction. Mais très tôt son talent s'est imposé aux yeux de tous, tout comme il s'est imposé deux mantras durant toute sa vie : " Je peins ce que je veux, quand je veux, où je veux." et  " Ne pas avoir peur d'être soi-même quand on se sait différent". 
Pour David Hockney, la vie ne fut pas celle d'un peintre maudit loin de là. Il connut la célébrité, la richesse, des amours multiples et resta fidèle en amitié. Recherchant constamment le fabuleux frisson de la création, ayant connu le doute, sa peinture reflète son extraordinaire regard qui savait saisir les âmes et les ambiances. Epris de technologie, ce sont pourtant les portraits ( avec ou sans piscine) de ses amis peints au début de sa carrière et les paysages et les forêts du Yorkshire de sa dernière période qui marquent sans doute le plus les esprits.
Sans jamais tomber dans l'admiration béate, avec son style, rapide, clair, tonique, Catherine Cusset nous emmène dans le sillage d'un artiste libre, dont la création, après avoir cerné  l'époque hédoniste des années 60/70, continue d'explorer un art qui n'en finit de nous surprendre et qui acquiert au fil du temps une force de plus en plus grande. Quand on referme son livre, on n'a qu'une envie, se planter devant des tableaux de David Hockney...


 Pour moi ce sera un de cette série sur les routes de campagne du Yorkshire :  "Colline de Garrowby ". 

samedi 3 février 2018

Quoi de neuf dans la chanson française ? (1)




Après ce premier clip, rigolo et gentil comme la chanson  "Seul sur son tandem" extrait du premier EP de Voyou " On s'emmène avec toi", vous aurez compris qu'il ne sera pas question des nouveautés discographiques d'Adamo ou de Louane, mais bien de signaler quelques nouveautés un poil plus marginales qui m'auront tapé dans l'oreille ou dans l'œil ( comme ici pour le clip). Voyou,  dont on peut penser que sa pop  rafraîchissante démarre sous un bon label ( celui de Fishbach), paraît parti pour rencontrer un certain intérêt car sur les cinq titres de son EP, deux semblent taillés pour le succès (  "La légende urbaine"  est à découvrir aussi).
Dans un style voisin ( tout du moins pour le titre ci-dessous), peut être plus électropop, le groupe Général Elektriks ne débute pas  mais nous propose un joli clip animé sur un titre aux allures minimales mais pas désagréable " Au tir à la carabine"  extrait de leur quatrième album ( je crois) "Carry No Ghosts". 



Je profite d'être au milieu de ma chronique pour glisser innocemment la sortie du premier album du groupe parisien Thérapie Taxi "Hit Sale", qui contient bien évidemment le titre "Salop(e)"  qui avait connu l'an dernier un petit buzz sur You tube. Cela vous avez échappé ? Alors le voici. On notera la jolie voix de la chanteuse qui accompagne bien le doux refrain... Le couplet est un peu plus hard ... et fait passer Giédré pour une chanteuse pour enfants. Attention aux oreilles chastes !



On pourra débattre sur l'intérêt de ce texte ( buzz ? militantisme ? ). Sachez juste que sur l'album, une ligne du premier couplet sur les MST a été enlevée... Pour le plaisir, et montrer que le groupe vise sans doute autre chose que de choquer le bourgeois, "Hit sale" feat Romeo Elvis  ( rappeur belge) qui confirme un son très efficace.


Plus soft ( même si le titre ci-dessous ne donne qu'une idée assez partielle de la tonalité de leur nouvel album, " Est-ce que tu vois le tigre ? " très chanson française ) le groupe Suisse Le roi Angus, espère bien réussir à sortir de son Valais natal et envahir les pays francophones. 




Pour finir, et bien que le disque hommage par la jeune génération branchée à Yves Simon ne sorte qu'en mars, on peut déjà entendre et surtout voir le clip de la très belle version de " Diabolo menthe"  par Soko qui en plus de nous enchanter avec sa voix si particulière, explique de façon musicale à tous ceux qui ne connaissent pas le phénomène, ce qu'est la vie en trouple ( version actuelle de la communauté, c'est à dire sans macramé mais avec sèche-linge). 



vendredi 2 février 2018

L'amour après de Marceline Loridan-Ivens

 

Marceline Loridan-Ivens, après le bouleversant témoignage de son emprisonnement à Birkenau, reprend l'histoire de sa vie après guerre, où jeune femme, elle se retrouvait avec ce qu'elle considère comme un supplément qu'elle ne doit pas gâcher. Mais comment vivre une vie de femme, se laisser aller au désir, à l'amour , à la passion après avoir été un corps nié, enfermé, déshumanisé ? C'est le fil rouge de ce livre qui s'attache surtout à nous parler de ses rencontres, de ses amours et des hommes de sa vie. Grâce à l'ouverture d'une vieille valise remplie de photos et de lettres ( mais qu'ouvrirons-nous en 2040 pour nous rappeler de nos écrits amoureux via SMS ou applications? ), Marceline, la vue bien réduite, se souvient de cette petite ( par la taille) jeune fille qui faisait tout pour se singulariser. Dans le Paris des années 50, à Saint Germain des Près où une Juliette Gréco déambulait toute en noir, Marceline accentuait son roux et portait des tenues voyantes aux terrasses des cafés où elle apostrophait les intellectuels pour leur demander  ce qu'il fallait qu'elle lise,voulant pallier à des études que la déportation lui avait volées. Elle rencontre évidemment  des hommes et, chose rare à l'époque, partage leur lit, devinant sans doute que les épreuves des camps avait détruit son appareil reproducteur mais cherchant aussi, sans y arriver, un chemin qui mène au plaisir, révélation qu'elle aura plus tardivement. Elle se remémorera aussi ses deux maris, l'un qu'elle n'ira jamais rejoindre à Madagascar et un deuxième dont elle sera la compagne aussi bien dans la vie que dans le travail.
Le récit nous montrera une femme combative, engagée politiquement, libre en apparence ( on n'efface pas certaines choses qui vous suivent jusqu'au dernier souffle malgré le recul et l'humour) en tous les cas faisant fi des diktats sociétaux des époques traversées, pouvant aimer deux hommes à la fois sans heurts ni problèmes, restant fidèle amicalement à d'anciennes amours et décidant de mettre fin à sa vie sexuelle passé cinquante ans mais pas à vivre comme bon lui semble.
De cette vie qui peut paraître dissolue pour certains ( alors qu'elle n'est que celle d'une femme qui a su s'emparer de la liberté) je retiendrai cette jolie description de son moteur avec les hommes ( et les femmes)  : " chercher la connivence, les convictions, et laisser le corps s'abandonner parfois." Un programme à méditer dans une époque qui semble vouloir le contraire à force de maîtrise et de repli sur soi-même.
Ce récit, simple à lire, égrène les souvenirs comme beaucoup d'ouvrages de ce genre, avec de belles envolées. Marceline Loridan-Ivens donne toutefois une magnifique leçon de vie et semble s'être appropriée la phrase de Jung mise en exergue : "La vie non vécue est une maladie dont on peut mourir...". Elle est bel et bien vivante et c'est un bonheur de pouvoir partager son expérience !


Marceline et son mari Joris Ivens.

jeudi 1 février 2018

Autoportrait à la guillotine de Christophe Bigot


Je ne sais qui est responsable, l'auteur ou l'éditeur, mais difficile de trouver titre plus repoussoir que "Autoportrait à la guillotine" ! Autoportrait fait tout de suite penser à un déversement de propos égocentrés, au mieux, un peu drôles ( mais qui peuvent sombrer dans la chicklit),  au pire pleurnichards ou exhibitionnistes, un genre qui à force de confidences tous azimuts finit par lasser le lecteur épris de vrai romanesque. Quant à la guillotine, existe-t-il quelqu'un qui ne frémisse pas quelque part ( et pas qu'au niveau du cou) à la simple vue du mot ? Associer les deux relève de l'inconscience ( commerciale) ou du challenge .... En fait, après lecture de ce formidable livre, je pencherai simplement pour la simple vérité, il ne pouvait pas s'intituler autrement !
Nous avons donc un quarantenaire, fringant auteur, professeur de lettres, avec une allure tout à fait sympathique ( merci Google même si j'utilise Lilo, histoire de couper un peu la tête de ce moteur tentaculaire) qui décide de se retourner sur son passé et de nous parler de lui, de sa vie depuis ce jour où une guillotine est entrée dans son champ de vision vers l'âge de six ans, par l'intermédiaire d'une scène d'un feuilleton télévisé : " Le chevalier de Maison-Rouge". A partir de ce moment là, son enfance, sa vie, vont prendre une nouvelle tournure. Cet instrument de mort va tourner à la passion, à l'obsession même et va faire de lui un passionné de la révolution française. Il va traquer les romans, les films qui parlent d'elle mais aussi s'intéresser  à tous ceux qui, de près ou de loin, l'ont approché. Quand on dit que tout se joue avant six ...mais plus sûrement dans l'enfance, terreau de la vie adulte, force est de reconnaître que la guillotine a vraiment forgé la personnalité de Christophe Bigot. Que ce soit dans son activité d'écrivain ( plusieurs romans se déroulant durant la révolution française) que dans son activité d'intellectuel ( viscéralement contre la peine de mort) ,  voire dans sa personnalité plus intime ( non, il n'a visiblement pas de relations sexuelles masochistes ou sadiques avec des objets tranchants, mais évoque inévitablement la castration ) cette guillotine se retrouve partout dans son existence même si moins présente au fur et à mesure que l'âge avance.
Christophe Bigot, très habile écrivain, sans jamais nous délester du moindre détail, nous embarque dans ce cheminement si particulier et nous passionne littéralement. En plus d'être franchement originale, son autobiographie, arrive à nous plonger dans l'histoire de la guillotine comme dans la révolution française sans jamais nous ennuyer ( on frissonne un peu parfois...ça décapite beaucoup quand même !) mais surtout brosse avec sensibilité et finesse toutes les époques qu'il a traversées dans sa vie. Il évoque l'importance de la télévision dans les années 80, des feuilletons jusqu'au Top50, la chance qu'il a eu d'avoir une passion dans la vie et de la relative protection qu'elle lui a apportée dans les années collèges ( et revient avec drôlerie sur les festivités du bicentenaire de 1789). Jamais on ne ressent une quelconque vanité ni aucun égocentrisme de sa part à nous dévoiler sa personnalité. On se délectera de passages franchement savoureux ( dans lesquels je me suis entièrement retrouvé ), je pense au chapitre sur le tire-fesses dans les stations de ski ou celle des cours de natation ! On sera aussi ému par la très délicate rencontre avec Robert Badinter.
Dans ce tournoiement de guillotines et de souvenirs, le lecteur se trouve face à un ouvrage d'une grande maîtrise et d'une vraie rigueur intellectuelle. On reste admiratif devant la formidable analyse personnelle qu'il nous livre sans jamais rouler des mécaniques... ou comment d'une passion particulière, il parvient à toucher tout le monde. " Autoportrait avec guillotine" fut mon premier grand régal de lecture en ce début 2018...comme quoi, il faut se méfier des titres...

Merci à BABELIO et aux éditions Stock pour cette très belle découverte !